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dont ils disposaient, et qu’ils leur firent croire qu’ils étaient les maîtres de tous les trésors qu’on y avait déposés. Parmi les dons qu’on avait faits à la déesse, Elien signale particulièrement des bagues et des anneaux ; ce qui nous fait songer à la Madonna di Tropani dont l’église se trouve précisément au pied du mont Eryx. C’est une Vierge miraculeuse, en faveur de laquelle beaucoup de femmes du monde se sont dépouillées d’une partie de leurs parures. Elle est surchargée de diadèmes, de colliers, de bracelets, de bijoux, qui étincellent au feu des cierges, et porte même, accroché au bas de sa robe, un lot de montres de tout âge et de toute façon, qui ferait la joie d’un collectionneur. D’après le rapport d’Elien, j’imagine qu’on devait trouver quelque chose de semblable dans le temple de Vénus Érycine. Ainsi pensait-on que la déesse aimait beaucoup une demeure aussi opulente et qu’elle y séjournait volontiers. C’était une de ses résidences favorites ; Théocrite lui dit en l’invoquant : « O toi, qui habites Golgos, Idalie ou le haut Eryx. » Les gens du pays prétendaient même qu’elle ne s’en éloignait qu’une fois par an, pour aller faire un tour en Afrique. Son absence se reconnaissait à ce signe qu’on ne voyait plus voler aucune colombe autour de l’Eryx : elle les emmenait toutes dans son voyage. Neuf jours après, elle revenait, et les colombes avec elle. Son départ et son retour étaient l’occasion de brillantes cérémonies.

Le culte de Vénus Érycine avait le caractère sensuel et voluptueux qui était ordinaire aux religions de l’Orient. La déesse était servie par de jeunes et belles esclaves, qu’on appelait en grec des hiérodules. Il y en avait mille dans le temple d’Aphrodite à Corinthe, qui faisaient oublier aux capitaines de navire, quand ils s’arrêtaient quelques jours, les ennuis des longues traversées. Il en devait être de même à Eryx ; les marins de passage y venaient célébrer Vénus avec ces élans et ces excès que fait naître la joie de vivre chez des gens qui sont toujours en danger de mourir. On a trouvé, sur un des versans de la montagne, un grand dépôt d’amphores brisées, dont les anses portent des inscriptions grecques, latines et carthaginoises : il est vraisemblable que les matelots de tous les pays qui gravissaient l’Eryx apportaient leur vin avec eux, et le buvaient là haut en joyeuse compagnie. Nos hiérodules les aidaient à dépenser l’argent qu’ils avaient laborieusement amassé dans leurs pénibles voyages. Aussi quelques-unes de ces femmes arrivaient-elles bientôt à faire fortune. Cicéron parle de l’une d’elles, nommée Agonis, d’abord esclave, puis affranchie de Vénus, qui était devenue très riche et qui possédait notamment des esclaves musiciens qu’on lui enviait et qu’on finit par lui enlever. Ces plaisirs de toute sorte qu’on trouvait sur l’Eryx l’ont aisément comprendre la renommée dont il jouissait parmi les gens de mer dans toute la Méditerranée.