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produisent, elles existent presque partout. Elles sont pour ainsi dire la condition du monde moderne, de ce monde qui a déjà vu passer tant de révolutions, et si elles ont un caractère plus aigu, plus saisissant en France, c’est que notre pays plus que tout autre, depuis longtemps, a le singulier et fatal privilège d’être le foyer central de toutes les agitations, de toutes les expérimentations hasardeuses ; c’est que de plus les dernières élections du mois d’octobre, dont toutes les conséquences sont encore loin d’être dévoilées, ont créé une situation assez nouvelle, et pour les minorités conservatrices revenues plus puissantes au parlement, et pour la majorité républicaine qui s’est sentie menacée, et pour le gouvernement, qui, malgré ses inévitables partialités, est bien obligé de s’arrêter devant un si frappant mouvement d’opinion.

La question la plus pressante, la plus impérieuse, au lendemain des dernières élections françaises, était de savoir ce qu’il y avait à faire pour se conformer autant que possible aux tendances qui venaient de se manifester dans le pays, — et c’est encore aujourd’hui la question. On aura beau la dénaturer, l’obscurcir ou l’éluder, elle est toujours là. Assurément, avec un peu de sincérité ou, si l’on veut, avec un esprit moins aveuglé par les passions, les républicains auraient dû être les premiers à interpréter libéralement ce scrutin et à en tenir compte. Ils auraient dû comprendre que, dans la situation de l’Europe, il y avait un intérêt particulier à laisser respirer la France, à ne pas aggraver et envenimer les divisions d’opinions par les défis incessans et croissans d’une politique de parti. Personne ne leur demandait de livrer la république pays leur demandait par son vote de faire ou de laisser faire de la république un régime de raison tolérante et de libérale équité, le régime de tout le monde. Malheureusement, depuis que les chambres sont réunies, les républicains ont fait justement tout le contraire. Avec leurs tentatives de réunions plénières, leurs programmes et leurs prépositions, ils semblent uniquement occupés à chercher les moyens d’altérer, de contester, d’amoindrir le dernier scrutin, — et, au pis aller, de s’en passer, de faire comme si les votes du 4 et du 18 octobre n’existaient pas. M. Clemenceau, qui paraît appelé à être le chef de la majorité nouvelle, — lorsqu’elle sera constituée, — ne l’a pas caché : il n’y a qu’il ne pas tenir compte des deux conta conservateurs qui sont dans la chambre, à tout traiter entre républicains, à former un faisceau de toutes les forces républicaines. Et le programme de cette nouvelle majorité, que M. Clemenceau se propose de conduire au combat, est tout simple, tout trouvé ; il faut proclamer une amnistie, il faut évacuer le Tonkin, poursuivre plus que jamais les réformes démocratiques, pousser plus ardemment la guerre au clergé, donner satisfaction aux cupidités et aux ressentimens des républicains en organisant la chasse aux fonctionnaires suspects.