Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/700

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentimens universels : aussi bien dans l’Inde qu’en Grèce et en Italie, au temps du Rama qu’au temps d’Achille, un Allemagne comme en France, dans le siècle de Siegfried comme dans celui de Roland, leur héroïsme serait vraisemblable, et il intéressera tous les hommes. Ces héros, d’ailleurs, selon une autre exigence du genre, appartiendront à une race et à une époque : ils ne seront pas des abstractions toutes pures, errant à travers les pays et les âges ; ils auront les pieds sur le sol, à une certaine date, puisque, sortis de ce sol, ils seront les suprêmes défenseurs de sa liberté. Enfin, s’il est dit que cette terre, choisie par le poète, est l’Ecosse, et pour peu qu’on se rappelle comment fut livré, autour du dernier des Stuarts, le dernier combat pour l’existence nationale, on jugera, sans doute, que cette légende, à la fois allégorique et réelle, peut s’évoquer sur la scène.

Quel personnage, en effet, plus vif que ce Charles-Edouard ? Quel jeune premier tragique mieux préparé par l’histoire pour brûler les planches ? Il n’est pas, celui-là, un vain fantôme, un froid symbole de la royauté : proche de nous, en habit Louis XV, moderne à tel point que Voltaire écrivit le manifeste qu’il devait lancer à ses sujets, nous le voyons qui s’embarque, avec sept gentilshommes, pour aller reconquérir le royaume de son père. Aux pauvres gens qui se jettent à ses genoux et lui disent : « Nous n’avons point d’armes, nous sommes dans la pauvreté, nous ne vivons que de pain d’avoine, » il répond : « Je mangerai de ce pain, je partagerai votre pauvreté et je vous apporte des armes. » A la tête de ses montagnards, dont le flot grossit comme un torrent, il marche à pied, vêtu à leur guise, jeûnant à leur guise. Il prend quelques villes de force et entre sans coup férir dans sa capitale. Parvenu en face des Anglais, il tire l’épée, jette le fourreau derrière lui et pousse devant sa victoire. Il va jusqu’à trente lieues de Londres, il se retourne pour triompher encore ; ., et bientôt le voici vaincu, errant, traqué. Pendant cinq jours et cinq nuits, il ne prend guère de repos ni de nourriture ; pendant trois jours et trois nuits, il se cache dans une caverne ; pendant deux jours encore, dans une autre ; il s’échappe sous des habits de servante : il est sauvé par un navire français. Quel roman de chevalerie ! mais quel roman certain, précis et joué, pour ainsi dire, sous nos regards ! Et, autour de ce personnage, comment souhaiter un chœur préférable à ce peuple écossais, plus avantageux au poète et au dramaturge, de mœurs plus fabuleusement pittoresques et de caractère plus actif ? C’est ce peuple, au demeurant, qui est le héros de l’entreprise. Sans lui, sans l’énergie de ses vertus, cette épopée ne serait qu’une équipée. Et ces mêmes vertus, communes à toute la nation, quelles faces différentes selon les provinces, selon les classes, n’offrent-elles pas ? Rappelons-nous que, d’après Walter Scott, ce coloriste modéré, la descente des highlanders, en 1746, n’étonna guère moins leurs compatriotes des basses