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palais ; Denys la peupla de monumens magnifiques, elle fut la résidence des préteurs romains. Aujourd’hui, la ville entière y est renfermée, comme Tarente dans son ancienne acropole. C’est là qu’emprisonnée de tout côté par les flots, gardée par les bastions de Charles-Quint, Syracuse, avec ses rues étroites, ses vieilles maisons, ses balcons de fer, ses fenêtres monumentales, transporte le voyageur à quelques siècles en arrière, et lui donne le plaisir d’oublier un moment les banalités des villes modernes. De toutes ces curiosités Virgile n’en mentionne qu’une, celle que Syacuse tient de la nature et qui a dû exister chez elle de tout temps C’est la fontaine d’Aréthuse, sur laquelle les Grecs faisaient tant de récits merveilleux. On pense bien que le pieux Enée, tout pressé qu’il est, s’arrête sur ce rivage pour y rendre ses devoirs à la source sacrée. Les voyageurs modernes font comme lui et ne manquent pas en passant d’aller voir Aréthuse. Il y a quelques années, ils éprouvaient un grand mécompte en la visitant. Elle était alors fort abandonnée, et les femmes de la ville, qui ne ressemblaient guère à Nausicaa, y venaient sans façon laver leur linge. Depuis on l’a réparée, et nous la voyons à peu près dans l’état où elle était du temps de Virgile. C’est un bassin demi-circulaire, où pousse le papyrus et qu’une étroite jetée sépare de la nier ; il est rempli d’une eau limpide et contient en abondance des poissons de toute espèce et des oiseaux aquatiques de toute couleur. Le jour où je l’ai visité le sirocco soufflait avec violence et les flots se brisaient en écu-niant contre le rivage. C’était vraiment nue scène de légende que j’avais sous les yeux : Neptune acharné contre une pauvre nymphe qui lui résiste et travaillant à forcer le refuge tranquille où elle s’est retirée. Je dois dire qu’Aréthuse ne paraissait guère troublée de ce tracas. Pendant que la mer faisait rage, les poissons continuaient à courir après les morceaux de pain que leur jetaient les enfans et les cygnes se promenaient gravement entre les touffes de papyrus Cependant, quand j’entendais le bruit sourd des vagues, et que je voyais les panaches d’écume s’élever au-dessus de la jetée, je ne pouvais m’empêcher de craindre que la mer ne fût la plus forte. En regardant l’étroite langue de terre qui protège la petite source, je tremblais pour elle, et j’étais tenté de répéter le cri de Virgile :


Doris amara suam non intermisceat undam !


Au sortir d’Ortygie, Enée franchit le promontoire de Pachinum un des trois qui donnent sa forme à la Sicile : puis il longe toute cette côte parallèle aux rivages de l’Afrique, que les Grecs avaient peuplée de leurs colonies. C’était un pays illustre entre tous et qui