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touristes qui se hasardaient à en faire l’ascension ; Strabon, qui nous l’apprend, invoque plusieurs fois leur témoignage. On partait de la petite ville d’Etna. comme aujourd’hui de Nicolosi ; de là on s’élevait péniblement, en suivant une région désolée, à travers la cendre et la neige, jusqu’aux approches du sommet. Le long de la route, on assistait quelquefois à de singuliers spectacles : des prêtres, penchés sur les bouches du volcan, y faisaient des sacrifices, ou, à l’aide de diverses pratiques, essayaient de deviner l’avenir. Arrivés presque au terme de la course, quelques superstitieux s’arrêtaient saisis d’une sorte de terreur subite : ils craignaient, en achevant le voyage, de surprendre des secrets dont les dieux se réservaient la connaissance. D’autres, plus audacieux, s’avançaient aussi loin qu’on pouvait aller. Les plus véridiques racontaient qu’il était presque impossible d’atteindre les bords du cratère, dont l’accès était défendu par la fumée et par la flamme. Du reste, leurs récits ne concordaient guère ; Strabon en concluait que le sommet du volcan ne doit pas toujours présenter le même aspect, et que, sans doute, chaque éruption en modifie la forme. Le témoignage des voyageurs modernes confirme tout à fait cette opinion.

Une autre curiosité qui se comprend bien chez des gens qui étaient si souvent les témoins ou les victimes des colères de l’Etna, c’est d’en chercher et, s’il se peut, d’en découvrir la cause. D’où peut venir qu’à certains momens des pluies de cendre couvrent la montagne et des fleuves de lave coulent jusqu’à la mer ? Comme il était naturel, on en donna d’abord des raisons empruntées à la mythologie : ce sont les vaincus des grandes batailles de l’Olympe que les dieux triomphans ont précipités dans l’abîme ; c’est Typhée, c’est Encelade, ce sont les géans de la Table, sur qui pèsent de lourdes montagnes et dont la poitrine écrasée par ce poids vomit la flamme. « Toutes les fois, dit Virgile, qu’ils retournent leur flanc fatigué, la Sicile entière tremble et mugit, et le ciel se voile de fumée. » Ces explications poétiques et enfantines, dont Enée se contente aisément, ne pouvaient pas toujours suffire. Un siècle après Virgile, un écrivain qui appartenait vraisemblablement à l’école hardie des Sénèques, ennemie des traditions antiques, voulut en donner une autre qui fût plus sérieuse et plus savante[1]. Il suppose que l’eau de la mer s’engouffre dans les profondeurs de l’Etna par des cavités souterraines, tandis que le vent y pénètre par d’autres ouvertures ; une fois entrés, il est naturel qu’ils se rencontrent dans ces couloirs étroits, qu’en se heurtant ensemble, ils se livrent des luttes

  1. On pense, sans en être certain, que c’était Lucilius, celui auquel Sénèque adresse ses fameuses lettres. Il fut intendant de la Sicile et il eut l’occasion, pendant qu’il y séjournait, d’étudier l’Etna.