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une morbidesse que François Clouet ne connut jamais. Le charme devient plus pénétrant, plus intime. La beauté est moins noble et la séduction plus grande. Elle est aussi plus exclusivement française. Aucune attache étrangère ne s’y fait plus sentir. On a pu se tromper quelquefois entre François Clouet et Holbein. Nulle méprise semblable n’est possible pour l’artiste qui a dessiné le portrait de Marie Touchet. Mais quel est cet artiste ? Est-ce Jean de Court ou Jean de Gourmont, Foulon ou Cosme Dumonstier ? Je ne sais. A coup sûr, ce n’est pas François Clouet. Certainement aussi c’est un artiste d’une extrême distinction[1]. Il a eu, d’ailleurs, dans Marie Touchet, un modèle de choix, une de ces beautés dont émane la grâce qui fait aimer. Rien ne surpasse la séduction de son regard et de son sourire. Un courtisan avait fait l’anagramme de son nom : Je charme tout. Marie Touchet, son portrait le démontre, fut une enchanteresse ; mais elle le fut avec simplicité, sans forfanterie ni insolence, uniquement parce que la nature l’avait faite ainsi, et parce qu’elle possédait une des plus grandes puissances, la plus grande peut-être qu’il y ait en ce monde, la puissance de la beauté. « Cette belle dame, dit Brantôme, lorsqu’on traictoit le mariage du roy et de la reyne, un jour ayant veu le portrait de la reyne et bien contemplé ne dict autre chose, sinon que : « L’Allemaigne ne me faist point de peur ; » inférant, par là qu’elle présumait tant de soy et de sa beauté que le roy ne s’en sauroit passer. » Elle avait alors vingt ans et disait vrai. Le roi s’était épris d’elle à tel point qu’il ne put s’en déprendre[2]… Quel que soit le mérite du dessin qui la représente, l’artiste qui a

  1. Le cabinet des estampes possède plusieurs portraits de la même main que le portrait de Marie Touchet, notamment le portrait de Gabrielle d’Estrées, duchesse de Beaufort. (Voir les Portraits aux crayons des XVIe et XVIIe siècles, par M. Bouchot.)
  2. Marie Touchet, dame de Belleville, était fille d’un lieutenant particulier au présidial d’Orléans. Elle est l’unique maîtresse à laquelle se soit attaché Charles IX. Indifférent à tout vers la fin de sa vie, il n’avait de soin que pour elle. Au moment de sa mort, il la recommanda à ses favoris. Elle n’avait pas marqué de cupidité et ne gardait du roi que son fils Charles, bâtard de Valois, comte d’Auvergne, grand Prieur de France et duc d’Angoulême, qui eut part aux plus grandes affaires de son temps, et dont la seconde femme, Françoise de Narbonne, mourut à quatre-vingt-douze ans en 1712 : belle-fille de la maîtresse de Charles IX, elle put tenir sur ses genoux le roi Louis XV. A la fin de 1578, Marie Touchet épousa François de Balzac d’Entraigues. Elle en eut deux filles d’une beauté remarquable, qui furent élevées avec une extrême rigueur. Cela n’empêcha pas l’aînée, la célèbre marquise de Verneuil, d’être la maîtresse d’Henri IV, et la seconde de vivre dix ans avec le maréchal de Bassompierre, dont elle eut un fils sans parvenir à se faire épouser. Après la mort d’Henri IV, Marie Touchet se retira du monde. Elle avait, disent les contemporains, une remarquable culture d’intelligence et beaucoup d’esprit.