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complètement édifiés sans doute si nous avions le portrait peint par Corneille de Lyon. Ce portrait représentait la reine, ou plutôt la dauphine, dans tout l’éclat de sa jeunesse, et il devait être parlant. « Il me souvient, dit Brantôme, qu’elle (Catherine de Médicis) estant ung jour allée voir à Lyon un peintre, qui s’appeloit Corneille qui avoit peint en une grand’chambre tous les grands seigneurs, princes, cavalliers, et grandes reynes, princesses, dames, filles de la court de France, estant donc en ladicte chambre de ces paintures, nous y vismes cette reyne parestre painte très-bien en sa beauté et en sa perfection, habillée à la francèze d’un chapperon avec ses grosses perles, et une robe à grandes manches de toille d’argent fourrées de loups cerviers ; le tout si bien représenté au vif avec son beau visage qu’il n’y falloit rien plus que la parole, aiant ses trois belles filles auprès d’elle. A quoy elle prist fort grand plaisir à telle veue, et toute la compagnie qui y estoit, s’amusant fort à la contempler et admirer et louer sa beauté par-dessus toutes : elle-même s’y ravist en la contemplation, si bien qu’elle n’en peust retirer ses yeux de dessus… » Ajoutons à cette description du tableau de Corneille le portrait fait par Brantôme lui-même : « Elle estoit de fort belle et riche taille, de grande majesté, toutefois fort douce quand il falloit, de belle apparance, bonne grâce, le visage beau et agréable, la gorge très belle et blanche et pleine, fort blanche aussi par le corps, et la charnure (carnation) belle, et son cuir net, ainsi que j’ay ouy dire à aucunes de ses dames, et ung embonpoinct très riche, la jambe et la grève (cuisse) très belle, ainsi que j’ay ouy dire aussi à de ses dames, et qui prenoit grand plaisir à la bien chausser, et à en voir la chausse bien tirée et tendue ; du reste, la plus belle main qui fut jamais veue, si crois-je. » Le portrait de Corneille nous reporte aux modes en usage sous François Ier. Il doit avoir été peint entre 1540 et 1545. Catherine de Médicis, née le 13 avril 1519, avait alors de vingt à vingt-cinq ans. Le chaperon qui, depuis l’édit de 1518, a d’année en année conquis plus de richesse, est en possession de ses torsades de perles, sans doute aussi de son diadème d’or et d’autres joyaux divers. Les larges manches de brocart d’argent doublées de loups cerviers portent aussi leur date. Et puis, le ravissement presque attendri de la reine à cette évocation du temps fleuri de la jeunesse témoigne de souvenirs lointains déjà lors de ce voyage à Lyon. Quant à la date du portrait fait par Brantôme, elle pourrait bien se rapprocher de la date même du susdit voyage à Lyon, et être par conséquent d’une vingtaine d’années postérieure au portrait de Corneille. C’est sous Charles IX que le chroniqueur gascon obtint sa charge de gentilhomme de la chambre, et ce fut à partir de cette époque seulement qu’il eut la reine mère chaque jour sous les yeux. Le