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dernier Jehannet (François Clouet), dont Ronsard chanta les louanges, fit presque oublier tous les autres. Non content de lui faire honneur de ses propres œuvres, on lui attribua celles de son père et de son aïeul, et bien d’autres encore très compromettantes pour lui. Et il en fut ainsi jusqu’à nos jours. Bien que l’érudition se soit emparée de cette question depuis plus d’un quart de siècle, on met encore aujourd’hui ce nom de Jehannet au bas des œuvres les plus disparates, et l’obscurité, même dans nos musées, est aussi profonde que partout ailleurs. C’est qu’elle est le produit d’une ignorance accumulée durant trois siècles. Les Clouet disparus, la nuit se fit aussitôt sur eux et l’on ne distingua plus entre leurs œuvres. Aucun historien ne s’occupa de leur mémoire. Dès la fin du XVIe siècle, on ne sait plus rien d’eux. Le XVIIe siècle les confond tous, ou plutôt n’en connaît plus qu’un seul. En 1672, l’abbé de Marolles, un des érudits les plus autorisés de son temps, ne parle que du troisième des Janet : « Il y a, dit-il, beaucoup de dessins au crayon de la vieille cour, et, particulièrement, des règnes de Henri II et de ses enfans, de la main de François Clouet, ce peintre fameux qu’a tant célébré dans ses vers le poète Ronsard. » Au siècle suivant, Mariette, malgré sa rare clairvoyance, ne peut trouver sur eux le moindre renseignement. Dans l’Abecedario pittorico, il en est réduit à copier Félibien : « Janet fut peintre des rois François Ier et François II. Il peignit à Fontainebleau divers portraits, parmi lesquels on remarque ceux de ces deux monarques. Il excellait aussi dans la miniature Son nom était François Clouet et Janet son surnom. » Rien de plus. Alexandre Lenoir, qui appartient déjà à notre époque, procède avec plus de sans-gêne encore. Il attribue tout à Janet : peintures, miniatures, crayons, émaux. Ces différens ouvrages accusent des mains très différentes les unes des autres ; qu’importe ! Les personnages représentés comptent entre eux quelquefois un siècle d’intervalle ; il n’y regarde même pas. Et les savans d’outre-Rhin (Nagler, Waagen, Passavant), qui de 1830 à 1850 interviennent dans cette affaire, n’en disent et n’en savent pas davantage. Ce n’est qu’avec Léon de Laborde qu’un peu de lumière se fait autour des Clouet. Le savant écrivain trouve dans les comptes royaux les élémens de la vaste enquête au moyen de laquelle il restitue enfin à chacun des Jehannet quelque chose de son état civil[1]. Quant à leurs œuvres, son intuition seule le guide pour les découvrir, et souvent elle l’égaré. A l’heure qu’il est encore, la critique est presque désarmée devant elles. Nous allons voir, cependant, que, pour les portraits peints ou dessinés par François Clouet, il y a des caractéristiques qui permettent de

  1. La Renaissance des arts à la cour de France, par le comte Léon de Laborde.