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Birmingham, les collèges d’Oxford, les courses de Newmarket, quelques châteaux, enfin, où ils furent reçus avec l’hospitalité britannique. Ils ne perdaient pas une minute, se levant de grand matin, courant tout le jour, et, le soir, « harassés comme des chiens. » Grimm est sous le charme. « La simplicité, le naturel, le bon sens de ce pays m’enchantent, et je voudrais que nous pussions y rester assez longtemps pour le connaître à fond. » La sensiblerie ne pouvait manquer de se mettre de la partie. « Votre Altesse, écrit-il à la landgrave, ne croira peut-être pas qu’on ne peut sortir d’un jardin anglais sans avoir l’âme aussi affectée qu’en sortant d’une tragédie. » Il se demande s’il aura jamais le bonheur de voir ces beaux lieux en compagnie de la princesse : « Hélas ! s’écrie-t-il, quel beau rêve ! Puisque nous n’avons qu’un instant à vivre, que ne nous est-il permis au moins de l’employer à sentir ! »

La question d’argent revient souvent dans les lettres de Grimm pendant le tour d’Angleterre. Nos voyageurs économisaient tant qu’ils pouvaient ; ils n’étaient pas nombreux : trois maîtres et cinq valets, et ils ne dépensaient pas plus de douze louis par jour, mais c’étaient les états de Hesse qui payaient l’excursion du prince héritier, et la somme qu’ils avaient votée pour cet objet touchait à sa fin. On jugera de la pénurie à laquelle ces petites cours étaient quelquefois réduites en apprenant que Caroline, ne voulant pas que son fils abrégeât son voyage, engagea ses diamans pour une somme de 12,000 florins. Il est vrai qu’au retour d’Angleterre, le prince devait voir la France et pousser jusqu’en Italie. Grimm obtint l’ajournement de ces projets et ramena son jeune compagnon à Darmstadt, après lui avoir fait passer à Paris deux ou trois semaines pendant lesquelles il prit des leçons de danse de Gardel et dîna chez Diderot, d’Holbach, Mme Geoffrin et Mme Necker.

De retour chez lui au commencement de 1772, Grimm trouva ses affaires dans un grand désordre. Ses lettres à la landgrave sont remplies de plaintes sur le temps que lui prenaient mille occupations dont il se chargeait bénévolement, et sur le tort que ces occupations portaient à la Correspondance littéraire. Les ministres d’état, disait-il, n’étaient que des fainéans auprès de lui. « Les affaires dont je suis surchargé me renferment absolument chez moi et me séquestrent entièrement du monde. Elles m’empêchent aussi de faire mon travail, et cela m’est encore plus pénible que de ne jouir d’aucun agrément de la société… Je suis triste et excédé. » Il en était venu, pour fuir les importunités, à se joindre à quelques amis et à chercher, pour l’été, une maison dans l’un des faubourgs ou dans le voisinage de Paris. Il s’était même un moment flatté de pouvoir recevoir le prince Louis dans cette retraite. « Il faut que le prince se consulte pour savoir s’il se plaira dans une