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convenable qu’il entrât dans ses nouvelles fonctions sans une décoration ? Mais laquelle ? Grimm songea d’abord à l’étoile polaire de Suède, à cause des facilités qu’il croyait avoir pour l’obtenir. La reine de Suède était la sœur du prince Henri de Prusse, le prince Henri allait partir pour Stockholm, mais la landgrave qui se rendait justement à Berlin pour les couches de sa fille l’y trouverait encore et pourrait lui toucher un mot des désirs d’un homme auquel le prince voulait d’ailleurs du bien.

« Puisque j’ai entamé cette seconde feuille, écrit-il à sa protectrice, il faut que je parle à Votre Altesse d’une extravagance qui m’a passé par la tête, et dont je me garderai bien d’ouvrir la bouche à qui que ce soit excepté à la princesse, dans les bontés de laquelle ma confiance est sans bornes. Je dois à ces bontés les bontés de monseigneur le prince Henri, qui m’écrit de temps en temps des lettres qui enchantent les autres par la grâce et l’agrément avec lesquels elles sont écrites, mais qui me pénètrent d’un sentiment bien plus doux. Ma reconnaissance pour ce prince aussi grand qu’aimable est sans bornes, et les obligations que je lui ai déjà me donnent le courage de lui en avoir de toutes les espèces. Les gazettes disent qu’il fera un tour en Suède à la fin du mois prochain ; j’ai pensé que, moyennant la protection de Votre Altesse, je pourrais obtenir la protection de Son Altesse Royale pour me faire accorder la croix de l’ordre de l’étoile polaire. Cette croix se donne indistinctement à toute espèce de mérite ; je l’ai vu porter par des médecins ; elle est accordée à des artistes. On la donne cependant avec assez de discernement pour qu’elle puisse être regardée comme une véritable marque d’honneur. Je m’en croirais donc très susceptible par la place que j’occupe ici, et qui est une des plus honorables dans nos usages, dans la maison d’un prince dont les officiers sont tous censés faire partie de la maison du roi. Il ne me manque qu’un seul titre, c’est celui du mérite. Parce que la reine de Suède a la bonté de recevoir depuis dix ans un mauvais barbouillage, et de le payer magnifiquement, je ne vois pas que cela doive me donner aucun titre à une faveur aussi distinguée. Aussi j’en voudrais faire une affaire de pure faveur et de protection… J’ose me flatter que l’opinion de Votre Altesse m’est trop favorable pour attribuer cette présomptueuse chimère qui me passe par la tête à un mouvement de vanité qui serait aussi ridicule que déplacé. Elle ne m’est venue que parce que, réalisée, elle ne manquerait pas d’influer ici sur ma situation de la manière du monde la plus sensible. Cette situation est singulière, et grâce à mon attachement à la croyance de Votre Altesse (au protestantisme), je ne puis payer les bienfaits du prince qui m’a attaché à lui il y a plus de quinze ans, et d’une nation aimable qui a eu la bonté de m’adopter, par