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tout ira le mieux du monde, le cas échéant. Je n’aurais plus d’inquiétude qu’un peu du côté du père, mais je ne le crois pas capable de traverser méchamment mes desseins. Les gazettes disent qu’il accorde aux réformés (le landgrave était luthérien) le libre service de leur religion dans sa résidence ; il ne voudra pas me chagriner pour la procession du Saint-Esprit[1]. Ce qui me plaît le plus, c’est que la confiance de la mère me prouve qu’elle croit sa fille capable d’un secret. Cette qualité est précieuse à son âge et en suppose une infinité d’autres. L’époux que je lui destine la possède aussi. On lui avait défendu les champignons, qui l’incommodent et qu’il aime beaucoup. Il en eut un jour une indigestion ; on voulut savoir par qui il en avait eu, mais on employa et menaces et caresses inutilement, et il ne put jamais être déterminé à nommer celui qui les lui avait procurés. Cette anecdote est sûre. » On voit jusqu’à quels détails descendaient les investigations de Grimm.

Il désire en même temps qu’on ne néglige aucun avantage. La princesse a les yeux beaux, mais ses cheveux laissent à désirer. Nous l’avons déjà vu s’occuper de coiffure pour la cour de Gotha ; il n’est pas aujourd’hui moins secourable. « Le papier que je joins ici prouvera à Votre Altesse que je voudrais certains cheveux aussi bien plantés que certains yeux sont bien fendus. Ces conseils viennent d’une dame très élégante, mais on dit cependant que les coiffeurs savent un secret de ramener les cheveux du toupet sur le front, de façon à réparer le petit défaut d’un front trop dégarni. Madame la dauphine avait ce défaut, et l’on m’assure qu’elle l’a encore. Le parti de couper son chignon n’est pas praticable dans la position où nous sommes, car enfin j’attends toujours mon courrier, et je me flatte que ce mois ne se passera pas sans quelque nouvelle qui achemine vers la décision. »

L’affaire traîna pendant plusieurs années, et avec de nombreuses péripéties. On avait fait passer un portrait à Pétersbourg, mais il y en avait deux ou trois autres en concurrence. La balance oscillait entre plusieurs des petites cours d’Allemagne. Grimm s’agitait de plus en plus ; il avait sur tous les points des correspondans qui le tenaient au courant et qui le faisaient passer par des alternatives de confiance et de désespoir. Ce qui ajoute à l’intérêt de la négociation dans laquelle il essaie de se tailler un rôle, c’est que nous connaissons aujourd’hui ce qu’on peut appeler le dessous des cartes. L’un des volumes publiés par la Société impériale d’histoire russe renferme la correspondance de Catherine elle-même avec l’agent qu’elle avait chargé de lui trouver une femme pour le tsarowitz. Le baron

  1. L’église grecque n’admet pas que le Saint-Esprit « procède » du Fils aussi bien que du Père. C’est là-dessus que roule la discussion dite du Filioque.