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Frédéric. « Mais, ajoute-t-il, il faut être en garde contre la vanité ; les traits de Votre Majesté ne sont pas mortels comme ceux d’Apollon, votre patron ; votre bonté daigne en émousser la pointe avant de les lâcher, et l’on est un pauvre plastron quand on ne reçoit que des traits émoussés. »

En dehors même de ces traits de caractère, la correspondance de Grimm avec Frédéric ne manque pas de quelque intérêt. Grimm y déplore « le vaste et effrayant silence » qui règne dans la littérature française depuis la mort de Voltaire, et il cherche, bien que timidement, à vanter cette littérature allemande dont il entendait célébrer l’essor avec une joie secrète, mais dont il n’osait qu’à demi prendre la défense devant le roi. « Quant à moi, écrit-il en 1781, exilé de ma patrie depuis ma première jeunesse, n’ayant presque aucun temps depuis nombre d’années à donner à la lecture, je ne suis pas en état de juger ce procès ; mais il est vrai que, toutes les fois que j’ai traversé l’Allemagne, ou m’a montré des morceaux parfaitement bien écrits, et je n’y ai plus retrouvé l’ancien jargon tudesque ; d’où j’ai conclu qu’il était arrivé une grande révolution en Allemagne dans les esprits. Cela m’a paru assez simple. Un pays qui a donné dans un siècle Frédéric et Catherine m’a paru le premier pays de ce siècle, et comme la nature opère tout par contagion, il m’a paru que l’apparition de ces deux phénomènes n’a pu rester isolée et a dû avoir les suites les plus étendues quoique aucune souveraineté n’ait songé à les encourager. »

Les philosophes n’étaient pas toujours braves à la fin de leur vie ; c’étaient parfois, selon l’expression de Tronchin, de plats mourans. D’Alembert, qui avait paru étonné des faiblesses de Voltaire, ne fut pas plus héroïque. Grimm annonce au roi la fin de cet homme, célèbre surtout, dit-il, par les bontés et les bienfaits dont Frédéric l’avait honoré pendant trente ans. « Ses infirmités s’étaient aggravées à un point alarmant par des inquiétudes et par les craintes de son imagination. Se croyant menacé à chaque instant, son tempérament naturellement frêle ne put résister longtemps à cet état violent, et le marasme qui s’ensuivit fut autant l’ouvrage de sa pusillanimité que de ses maux. Il ne cachait point à ceux qui l’exhortaient à leur opposer un peu de courage, qu’il n’en avait point, et il leur inspirait d’autant plus de compassion qu’il leur enlevait tous les moyens de le consoler, et que cette extrême faiblesse l’avait rendu aussi irascible et emporté. Voilà comme le destin, en pinçant une de nos fibres, peut humilier notre orgueil philosophique, et nous remettre au niveau des enfans que nous regardons avec pitié. » La réponse du roi ramène encore plus crûment les choses à la physiologie : « Si la maladie a affaibli l’esprit de d’Alembert dans le dernier temps, cela n’est pas étrange, puisque la mort,