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féroces qu’on avait mises au-dessous. » Ces tentatives, comme on voit, étaient rigoureusement réprimées et elles ne prirent jamais le caractère terrible de celles d’Eunus et d’Athénion. Cependant malgré le calme dont la province a joui sous l’empire, elle ne parvint jamais à se relever[1]. N’est-il pas étrange que la paix, qu’elle a tant souhaitée et si peu comme, n’ait pas pu lui rendre un moment cette prospérité, cet éclat, cette intensité de vie, cette gloire des lettres et des arts, dont elle avait été favorisée d’une façon si merveilleuse pendant qu’elle se débattait dans d’effroyables désordres ?

Il lui restait heureusement ce qu’elle tenait de la nature, ce que rien ne pouvait lui ôter : les richesses d’un sol inépuisable, dans une petite étendue une étonnante variété de sites, des montagnes pittoresques, des côtes bien découpées, un climat d’une admirable sérénité, qui frappait de surprise même des Italiens : « On prétend, disait Cicéron, qu’à Syracuse il n’y a pas de journée si sombre que le soleil n’y luise quelques instans. » Ajoutez-y tous ces phénomènes volcaniques, mentionnés si complaisamment par Strabon, et qui causaient d’autant plus d’admiration qu’on savait moins les expliquer, ces sources brûlantes qui jaillissent de terre, ces montagnes qui jettent des torrens de feu ou de boue, ces flammes qui courent capricieusement sur les flots, ces îles qui sortent tout d’un coup de la mer et qui s’y replongent, enfin tous ces spectacles extraordinaires dont on rendait compte par des légendes, faute d’en savoir la raison, et qui donnaient à la Sicile la réputation d’être un pays de merveilles.

Ce n’était pas là pourtant ce qui attirait surtout chez elle les voyageurs. L’auteur d’un poème sur l’Etna se plaint qu’on ne se dérange guère pour admirer les grands spectacles de la nature, tandis qu’on traverse les terres, qu’on passe les mers, qu’on se donne mille peines lorsqu’il s’agit de contempler des tableaux célèbres ou de vieux monumens. Les curieux allaient donc voir Agrigente ou Syracuse, comme Athènes ou Corinthe : ils venaient y visiter les chefs-d’œuvre de l’art grec. Il est sûr que leur attente n’était pas trompée et qu’ils ne devaient pas regretter leur voyage. Songeons que tous ces édifices, dont les débris nous étonnent, quoique nous n’en ayons plus que le squelette, étaient alors intacts et complets. Les temples conservaient leurs frontons et leurs frises

  1. Les empereurs semblant s’être découragés de s’occuper d’elle. Elle est un des rares pays où l’on n’a pas retrouvé de ces bornes millilitres, qui soin si fréquentes ailleurs, ce qui semble montrer que les grandes routes n’y existaient pas un qu’elles n’étaient pas réparées par l’autorité publique. Voyez les réflexions que fait Mommsen à ce propos dans le volume du Corpus inscriptionum Latinarum où il est question de la Sicile.