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de la Cilicie, couvraient la Méditerranée. Leurs vaisseaux légers passaient entre les escadres qu’on envoyait pour les surveiller et se jouaient des lourdes galères romaines. On les vit un jour entrer par bravade dans le port même de Syracuse, et, après avoir fait le tour des quais, sortir tranquillement, sans qu’on osât les poursuivre. Contre tous ces dangers les Siciliens avaient besoin de l’appui de Rome ; aussi s’étaient-ils toujours montrés, depuis la fin des guerres puniques, des sujets soumis. Ils ne cessaient de faire des avances à leurs vainqueurs, et Cicéron remarque avec quelque surprise que beaucoup d’entre eux prenaient des noms romains, ce qui semblait indiquer qu’ils voulaient renoncer à leur ancienne nationalité pour accepter celle de leurs nouveaux maîtres[1]. Les deux races commençaient donc à se mêler ensemble et déjà se préparait cette assimilation de la Sicile avec l’Italie qui de nos jours est devenue si complète

Ce n’est pas que Rome ait toujours accordé aux Siciliens une protection bien efficace. Elle choisissait quelquefois, pour les gouverner, des gens qui remplissaient fort mal leurs fonctions et qui pillaient ceux qu’ils auraient dû défendre. Verrès, en gardant pour lui l’argent destiné à l’entretien de la flotte, en la mettant sous les ordres du mari de sa maîtresse, qui était aussi mauvais amiral que mari complaisant, l’avait livrée aux pirates. Lui-même ne s’était occupé, dans les deux années de sa préture, qu’à remplir ses coffres ou ses galeries. Il avait mis en vente toutes les charges municipales de la province, fait payer aux laboureurs deux fois plus d’impôts qu’ils n’en devaient, et confisqué, sous prétexte de crimes imaginaires, la fortune des personnes les plus distinguées et les plus riches. « La Sicile, disait Cicéron, est aujourd’hui tellement affaiblie et perdue qu’elle ne retrouvera jamais son ancienne prospérité. » C’était une prédiction, et elle s’est accomplie à la lettre. L’empire donna sans doute à la Sicile, comme au reste du monde, la paix au dehors et la sécurité intérieure. Pendant près de trois siècles on n’entendit plus parler des pirates. Il y eut encore quelques révoltes d’esclaves, par exemple celle de Selurus, qu’on appelait le fils de l’Etna, parce qu’il avait longtemps couru et dévasté les environs de cette montagne. Strabon le vit dévorer par les bêtes, dans le grand cirque de Rome, à la suite d’un combat de gladiateurs, « On l’avait placé, dit-il, sur un échafaudage très élevé qui figurait l’Etna. Tout à coup l’échafaudage se disloqua, s’écroula, et lui-même fut précipité au milieu de cages remplies de bêtes

  1. Ce fut Antoine qui, après la mort de César, donna le droit de cité romaine à toute la Sicile. Il prétendit avoir trouvé le décret qu’il publia dans les papiers du dictateur, mais Cicéron croit que les Siciliens l’avaient payé pour le fabriquer.