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dans l’esprit, le goût de la dispute, surtout celui de la raillerie : « Dans leurs plus grandes épreuves, dit Cicéron, ils trouvent toujours quelque occasion de plaisanter ; » mais de plus ils étaient sobres et laborieux, deux qualités qu’on ne trouvait pas au même degré chez les habitans de la Grèce propre et de l’Asie. Cicéron ajoute qu’ils avaient bien accueilli la domination romaine, ils s’associaient volontiers aux négocians de Rome, qui leur apportaient leurs capitaux et leur industrie, et ils exploitaient leurs terres en leur compagnie, comme ils ont depuis exploité leurs vignobles et leur soufre avec des Allemands et des Anglais. Ce n’est pas qu’ils eussent pour les Romains une affection particulière, mais ils sentaient qu’il leur était impossible de se passer d’eux ; ils comptaient sur leurs secours pour échapper à un péril dont ils ne pouvaient pas se tirer tout seuls. La culture des céréales était la grande industrie de la Sicile, et là, comme ailleurs, les paysans étant devenus rares, il avait fallu les remplacer par des esclaves : nous savons que les gens riches en possédaient des milliers. Ces esclaves n’étaient pas établis dans des villages ou disséminés dans des fermes, comme le sont chez nous les gens qui travaillent les champs ; la Sicile ne devait pas posséder alors plus de villages et de fermes isolées qu’elle n’en a de nos jours. On les rassemblait en grandes troupes, comme ces laboureurs que nous voyons faire les semailles ou la moisson dans les plaines de l’Italie méridionale ; mal nourris, peu vêtus, durement traités, ils étaient menés à l’ouvrage par des villici qui devaient ressembler beaucoup aux caporali d’aujourd’hui. Ils travaillaient les fers aux pieds, et, pétulant le jour, la surveillance du villicus les empêchait de communiquer entre eux. Mais le soir, dans ces campemens provisoires on en les entassait, il leur était facile de se concerter. C’est ainsi qu’il éclata en quelques années deux révoltes qui épouvantèrent le monde. On vit un Syrien et un Cilicien, à la tête de plus de soixante mille pâtres ou laboureurs, tenir en échec des généraux romains, dévaster la province et verser à flots le sang des hommes libres. Depuis ce moment, les Siciliens vivaient dans une sorte de terreur perpétuelle. On avait fait des lois qui défendaient, sous peine de mort, aux esclaves de porter jamais aucune arme sur eux, et ces lois étaient observées avec la dernière rigueur. « Un jour, dit Cicéron, on apporta un sanglier énorme au préteur Domilius, Surpris de la grosseur de l’animal, il voulut savoir qui l’avait tué. On lui nomma le berger d’un Sicilien ; il ordonne alors qu’on le lasse venir ; le berger accourt, s’attendant à des éloges et à des récompenses. Domitius lui demande comment il a tué cette bête formidable. « Avec un épieu, » répond-il. A l’instant le préteur le fit mettre en croix. » Depuis quelques années, à ce fléau toujours menaçant il s’en était joint un autre. Des flottes de pirates, parties