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même de son intervention prouve le danger auquel son parti se sent exposé.

Les conservateurs trouvent bien évidemment une force dans ces divisions des libéraux. Ils ont, quant à eux, le sérieux avantage d’être assez unis, de marcher au combat électoral d’un même pas, sous un chef dont le programme habilement présenté est accepté sans contestation par le parti tout entier, et ils déploient certainement dans la lutte autant d’ardeur que les libéraux. En réalité, les conservateurs vont au scrutin dans des conditions assez favorables. Il n’est point douteux que la politique extérieure du ministère peut avoir quelque influence sur l’opinion et sur le vote. Après tout, le chef du cabinet a réussi à régler au moins pour le moment la redoutable question des frontières de l’Afghanistan, et il a pu récemment, dans son discours au banquet du lord-maire, mettre son arrangement avec les Russes au compte de ses succès. S’il n’a pas définitivement réglé les affaires égyptiennes par la mission de sir Henry Drummond Wolf à Constantinople, il a du moins signé avec la Turquie une convention qui peut aider l’Angleterre à accomplir son œuvre sur les bords du Nil. Lord Salisbury, il est vrai, paraît avoir pris dans les affaires d’Orient une attitude assez singulière, en engageant une sorte de lutte d’influence avec la Russie, en se faisant le patron de la révolution bulgare ; mais il n’a sûrement pas l’intention de pousser bien loin cette lutte, de compromettre l’Angleterre dans des interventions aventureuses, et ce qu’il en a dit était vraisemblablement bien moins une opinion diplomatique qu’une tactique électorale, un moyen de capter la popularité. D’un autre côté, les libéraux, ou plutôt leurs alliés les radicaux, ont eu la dangereuse idée de soulever une question redoutable partout, en Angleterre autant que dans bien d’autres pays, la question de la séparation de l’église et de l’état. Ce qui était facile à prévoir est arrivé. Le clergé anglican a répondu à cette menace en se jetant avec passion dans la lutte, en déployant toute son influence contre les libéraux, et c’est là encore une circonstance assurément favorable pour les conservateurs. M. Gladstone ne s’y est point mépris et il a essayé d’écarter la question, de dégager son parti ; le coup n’est pas moins porté, l’intervention du clergé n’est pas moins vive et ardente. Évidemment, à l’heure qu’il est, entre les partis qui se servent de toutes les armes, les chances restent à peu près égales. Chacun d’eux a ses avantages et ses faiblesses devant l’opinion. C’est ce qui met une sorte d’intérêt dramatique dans ces élections, dont le dernier mot restera jusqu’au jour du scrutin une grande énigme.


CH. DE MAZADE.