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entre les ministres d’hier et les ministres d’aujourd’hui ? Le résultat reste provisoirement fort énigmatique. Au premier abord, à ne considérer qu’une logique apparente, on pourrait croire que les libéraux devraient avoir quelque chance de profiter de la dernière réforme, qui est leur œuvre, et qui serait de nature à les populariser dans les masses ; mais ce ne serait là, peut-être, qu’un calcul assez douteux. On a vu, au contraire, assez souvent, au lendemain de presque toutes les grandes réformes électorales anglaises, les conservateurs profiter de l’œuvre accomplie par les libéraux. La réforme réalisée, il y a un peu plus de dix ans, par M. Gladstone, était pour lord Beaconsfield une occasion et un moyen de reconquérir le pouvoir. Ce n’est donc là qu’un élément fort incertain du problème électoral qui s’agite aujourd’hui en Angleterre. Le malheur des libéraux, dans cette lutte nouvelle, c’est qu’ils sont profondément divisés d’opinions, d’instincts, de traditions. On ne cesse, il est vrai, de parler d’union dans les discours, de démontrer la nécessité de l’entente, de la conciliation ; en réalité, on ne s’entend pas. On pourrait presque dire que radicaux et whigs de vieille race ne parlent pas la même langue. L’ancien ministre radical du cabinet Gladstone, M. Chamberlain, de concert avec son collègue sir Charles Dilke, promène partout et défend obstinément son programme de semi-socialisme, de séparation de l’église et de l’état. Il ne ménage pas, dans ses discours, les modérés, et récemment encore il parlait d’un ton assez acerbe des libéraux comme M. Goschen, qui voudraient « immobiliser la politique du parti libéral et empêcher la réforme électorale de conduire aux vastes réformes démocratiques pour lesquelles elle a été faite. » Des hommes comme lord Hartington, lord Derby, lord Rosebery, n’acceptent pas naturellement toutes les audaces de ce terrible allié, qu’ils s’efforcent assez vainement de ramener à une certaine modération. La question est de savoir si l’intervention de M. Gladstone suffira pour rétablir l’union parmi les libéraux. M. Gladstone, en effet, vient de quitter sa résidence de Hawarden pour se rendre à Edimbourg, pour reparaître sur ce vieux théâtre de ses succès, le Midlothian, où il a livré, il y a quelques années, tant de batailles d’éloquence contre les tories. Il a déjà commencé sa campagne, qu’il va poursuivre, au milieu des ovations, dans une contrée où sa popularité est immense. Son élection, à lui, n’est certes pas douteuse, il n’aurait pas même en besoin de prodiguer encore une fois sa vieillesse dans les réunions populaires. Il ne combat plus pour lui, il combat pour sa cause. Quelle que soit, cependant, son autorité, réussira-t-il à remettre un peu d’ordre dans son armée, à ramener la paix ou l’union parmi ses alliés et à faire accepter son programme de libéralisme modéré sans s’aliéner ou décourager les radicaux ? Seul il peut accomplir ce miracle, et la nécessité