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irrévocable. Les Bulgares persistent obstinément, les Grecs, les Serbes persistent à leur tour dans les revendications dont la révolution rouméliote leur a offert l’occasion. La Grèce, après avoir épuisé ses ressources pour se mettre sous les armes, ne veut plus désarmer sans avoir obtenu les compensations auxquelles elle croit avoir droit, et elle est prête à tout risquer pour l’idée hellénique. La Serbie, depuis quelques semaines, n’est plus qu’un camp. Elle a mis sur pied toutes ses forces comme si elle était provoquée à une lutte suprême ; elle a son armée sur la frontière prête à marcher en avant, violant sans façon le territoire de la principauté voisine, et même entre Serbes et Bulgares des coups de fusils ont été échangés. En réalité, c’est une situation des plus étranges, où peuvent naître à tout instant des conflits qui n’ont ni motif plausible ni objet précis. La guerre est latente, imminente dans cette région des Balkans, elle aurait même peut-être déjà éclaté si dans le camp serbe on ne se croyait encore tenu d’attendre ce qui sera décidé à la conférence de Constantinople. Un incident, une étincelle peut tout enflammer. — D’un autre côté, c’est justement la question de savoir quelle peut être l’efficacité de cette intervention de la diplomatie européenne qui jusqu’ici a tenu tout en suspens. Au premier moment, sans doute, on n’a parlé que de la nécessité d’agir d’intelligence, de faire respecter le traité de Berlin, surtout de sauvegarder la paix générale, et c’est, en effet, avec cette pensée, avec le sentiment de l’intérêt commun de la paix qu’on s’est réuni. Malheureusement, on ne peut plus s’y tromper, l’accord était plus apparent que réel et les dissentimens n’ont pas tardé à se manifester entre les puissances dont les représentans recevaient la mission de dénouer la crise des Balkans, d’en atténuer tout au moins la gravité et les conséquences. On a commencé par témoigner l’intention d’opposer le faisceau de toutes les volontés à des perturbations nouvelles ; on finit par ne plus s’entendre du tout.

La Russie, cela n’est pas douteux, a pris depuis quelques jours une attitude des plus nettes, des plus décidées dans cette phase nouvelle des affaires orientales. Si elle a été pendant longtemps la première et à peu près la seule à encourager les idées d’émancipation et d’union qui ont préparé le dernier mouvement bulgare, elle se prononce aujourd’hui avec une vivacité presque imprévue contre cette révolution rouméliote qui ne répond plus visiblement à ses calculs, qui lui apparaît peut-être comme un échec ou comme une menace pour son influence. De toutes les puissances, la Russie est celle qui propose le plus nettement, le plus résolument de tout ramener dans les Balkans aux termes du traité de Berlin, de ne rien laisser subsister de la révolution de Philippopoli. La Russie ne s’est pas bornée à rappeler ses officiers qui servaient en Bulgarie, elle a mis dans l’expression de ses