Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont aussi des artistes qui comprennent, qui détaillent toutes les beautés d’un vase dont Les parois sont couvertes de fines sculptures, des chanteurs habiles, qui tirent des sons harmonieux de la syrinx, et qui trouvent « que le sommeil et le printemps ne sont pas si doux que la muse. » Tous sont amoureux, mais leur façon d’aimer n’est pas la même ; tandis que quelques-uns expriment leur passion en quelques mots d’une vérité profonde et naïve, d’autres la décrivent avec une finesse ingénieuse, en gens d’esprit qui s’observent, comme on devait le faire à la cour de Ptolémée ou d’Hiéron. Délaissés par leurs maîtresses, les uns gémissent et se plaignent doucement, ainsi qu’il convient à des personnes bien élevées ; d’autres sont moins endurans et moins convenables : « ils appliquent sans façon à l’infidèle un coup de poing sur la nuque, qui est bientôt suivi d’un second. » Même variété dans leurs plaisirs : celui-ci considère comme le plus grand de tous les bonheurs de contempler, pendant l’hiver, le hêtre sec qui bride dans le foyer et « les tripes fumantes qui cuisent sur le feu. » Il y en a d’autres qui ne se contentent pas à si bon marché : ils ne se plaisent que couchés sur des lits épais de lentisque odorant et de pampres récemment coupés, « tandis que les peupliers et les ormeaux se balancent au-dessus de leur tête, et qu’une onde sacrée, sortant d’une grotte habitée par les nymphes, murmure harmonieusement à leurs pieds. » Pour rapprocher ces élémens contraires et les associer ensemble, il fallait toute la souplesse du génie grec ; mais aucun poète de la Grèce ne les a si parfaitement unis que Théocrite : chez lui, dans ce charme de grâce et de poésie qui enveloppe tout, les contrastes s’effacent. De son œuvre entière, composée de parties si différentes, il sort une impression unique qui donne aux raffinés l’illusion du naturel et fait deviner aux simples les séductions de l’art. Virgile était l’un et l’autre, nous venons de le voir ; il aimait également l’art et la nature et trouvait dans Théocrite de quoi contenter ses deux passions à la fois. Voilà pourquoi il fut si heureux de le lire et prit tant de plaisir à l’imiter.

On trouve, parmi les œuvres qui lui sont attribuées, une pièce qu’on voudrait croire de lui, parce qu’elle est fort agréable, et qu’il a vraisemblablement composée dans sa jeunesse. C’est un tableau de la vie champêtre, qui présente un caractère très différent de ceux qu’il a tracés dans les 'Bucoliques. Ici, il n’a d’autre visée que de peindre exactement une vérité vulgaire ; c’est, comme nous dirions aujourd’hui, un morceau réaliste. Quoiqu’il soit fort ancien, il semble fait d’après toutes les règles de la nouvelle école. L’auteur ne s’est pas mis en frais d’invention et de composition ; il se contente de reproduire ce qu’il a sous les yeux, sans prétendre y rien changer. Il veut décrire la matinée d’un paysan depuis le moment où il se lève