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et son amour qui persiste en secret ; l’adresse et la dignité de sa politique envers des tiers, envers ce tiers surtout, Désauniers ; les alternatives de résipiscence et de colère du mari, sa demi-rechute et son retour définitif au bien ; et, dans l’intervalle de cette brouille à ce raccommodement, le manège de l’ami commun, ce Désaubiers, prétendu courtier en réconciliations et qui, pour son courtage, suspend les préliminaires de la paix au moment qu’elle va se faire, raccomodeur de ménages fêlés qui juge que les morceaux en seraient bons, — tout cela est exposé avec une philosophie souriante, avec une aimable entente des conditions moyennes de la vie, avec une connaissance rassise du monde, de ses préjugés et de ses sentimens. Un roman, oui, peut-être, c’est ce qu’il fallait faire de cette histoire, à moins qu’on n’en fit toute une comédie : soit une grande comédie, où l’on aurait pu mettre au plein vent le pathétique de la donnée ; soit une petite, où l’on aurait baissé le ton, qui, déjà ici, paraît quelquefois trop élevé : on aurait alors, grâce au personnage du célibataire, tourné la chose à l’enjouement. Telle quelle, et côtoyant l’aventure de Fondreton, celle de M. et Mme de Sauves a quelque peine à se faire prendre au sérieux. Nous sommes en train de gausser : que prétend-on nous intéresser et même nous émouvoir ? Nous ne sentons pas tout le mérite des efforts qu’on fait pour y parvenir ; si nous les remarquons, c’est presque avec impatience. Au premier acte, il semble que ce morceau de résistance allonge inutilement le service ; au troisième, la suite en paraît encombrante et indigeste. Et pourtant, par elle-même, cette partie était digne de plus de faveur.

C’est aussi que la vue de ce Fondreton est si exhilarante ! Son courant est le meilleur ; il file à travers toute la pièce, et partout il brille, il scintille. C’est un ruisseau de comique, pas bien profond, mais limpide et rapide, sans amertume, innocent et français. Au milieu de l’ouvrage, il jaillit en gerbe et s’épanouit ; et tout autour, par une heureuse affinité, de sources récentes et à fleur de terre, d’autres ridicules s’élèvent et brillent en pluie fine : ce deuxième acte, par ses l’usées à droite, à gauche, devant, derrière, il éblouit, il étourdit comme les grandes eaux de Versailles. On se rappelle, — et comment l’oublier ? — le salon de la comtesse Wacker, cette agitée, agitante personne, Anglaise ou Américaine, femme du monde et suspecte, dont le mari est invisible, et le père affiché comme un père de louage ; galante et capable de tenue ; aimée, quittée par M. de Sauves, courtisée par Fondreton, hébergée, défrayée d’aubades par un général qui n’envoie pas pour rien sa musique. Le jour de son emménagement à Montmorency, elle reçoit à dîner (un dîner envoyé de Paris avec l’argenterie et la vaisselle) des gens qu’elle a connus à Vienne, à Florence, à Madrid, et des gens qu’elle ne connaît pas ; elle a des convives dans son cabinet de toilette et sur l’escalier ; elle quitte, à l’aube, ce salon, qui ressemble au