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la Tamise, non dans celles de l’Humber et de la Tyne, que vivaient les poètes, les philosophes, les hommes politiques du temps. Au sud, le paysan était mieux nourri et mieux babillé, le gentleman était plus civilisé, le prêtre plus instruit. L’esprit national y avait été aiguisé, soit par les querelles intestines, soit par les guerres contre l’étranger. On y était plus exposé à l’invasion, partant, plus patriote.

Aussi y eut-il grande émotion parmi les campagnards du Nord lorsqu’ils apprirent que le roi avait rompu avec Rome et répudié son épouse. Les grands seigneurs. lord Northumberland, lord Darcy et d’autres, parlaient librement d’une révolution qui leur déplaisait ; mais ils n’agissaient guère, parce que, représentant de l’autorité royale dans leurs comtés, ils se savaient trop faibles pour faire obstacle aux événemens accomplis. Les moines, menacés dans leur existence, la gentry, entraînée par les prédications des moines, soulevèrent les paysans ; ceux-ci se mirent en tête que le roi était le jouet de conseillers malfaisans, qu’il fallait aller à Londres le débarrasser de ces conseillers, le réconcilier avec sa femme légitime, et rétablir l’autorité du pape dans toute l’Angleterre. Ils s’assemblèrent donc au nombre de trente mille environ, mal équipés, encore plus mal commandés. Ce n’était pas la guerre qu’ils prétendaient faire, mais un « pèlerinage de grâce ; » à vrai dire un pèlerinage à main armée. Leur chef était un avocat de Londres, nommé Robert Aske, que le hasard avait mis sur leur route. L’un des fils du duc de Northumberland était avec eux, mais sans exercer le commandement que sa naissance lui aurait donné partout ailleurs. Arrivés à Doncaster, après s’être emparés d’York sans coup férir, ils y rencontrèrent le duc de Norfolk, l’un des plus vaillans et des plus fidèles serviteurs de Henri VIII. Le duc de Norfolk eut le talent de les apaiser, de leur promettre la paix, et finalement de les renvoyer chez eux. Ce fut toute la résistance que rencontra l’apostasie du roi. Quelques-uns des chefs les plus marquans furent décapités ou pendus, et personne ne protesta plus. Le parti espagnol avait perdu toute influence pour le moment.

Pour le voir revivre, il faut arriver au règne de Marie, fille de Henri VIII. Cette princesse, issue du mariage de son père avec Catherine d’Aragon, était restée fidèle aux croyances de sa jeunesse. Elle montait sur le trône à l’âge de trente-sept ans, sans y avoir été préparée, puisqu’elle avait vécu dans la disgrâce, réputée bâtarde, depuis que sa mère avait été répudiée. Restée catholique, elle était hostile à la religion que professait la majorité de ses sujets ; les hommes d’état auxquels son père et son frère avaient accordé leur confiance ne pouvaient que lui déplaire : aussi prit-elle tout de suite pour conseiller intime Renard, ambassadeur de Charles-Quint. Rigide, intolérante, elle fit mettre à mort sa cousine Jeanne Grey,