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lords du royaume, qui assistaient, en grand nombre, attendant une décision avec des intérêts très divers, se montrèrent très froissés de cet ajournement et surtout de ce nouveau recours à Rome : « Il n’a jamais été bon pour l’Angleterre, dit l’un d’eux, qu’il y eût tant de cardinaux parmi nous. » Ces quelques nuits exprimaient les sentimens de toute l’Angleterre, sans en excepter les évêques.

Déjà, tandis que l’Angleterre tout entière discutait si le mariage de Henri VIII et de Catherine devait être ou non annulé, un docteur en théologie de l’université de Cambridge, Cranmer, avait émis une opinion nouvelle. Cranmer, vivant dans la retraite, timide dans le monde et hardi dans ses discours comme un homme qui ne puise ses opinions que dans l’étude des livres et qui ne tient aucun compte des circonstances, Cranmer soutenait que la grande affaire du jour n’était pas susceptible d’être jugée par le pape ou par ses délégués. La seule question, suivant lui, était de savoir si un homme peut valablement épouser la veuve de son frère. Il n’était pas douteux que cette union fût défendue par les saintes Écritures ; on n’avait qu’à consulter les universités de toute l’Europe ; non-seulement à Oxford et à Cambridge, mais encore à Paris, à Padoue, à Bologne, partout, sauf dans les états de l’empereur, on aurait la même réponse. Cela étant, il n’y avait pas eu mariage ; le roi et la reine avaient vécu dans le péché sans s’en douter. Dès qu’ils se sépareraient, ils seraient libres de contracter une autre union, chacun de son côté. Plus d’un laïque en avait déjà dit autant, mais avec moins d’autorité. Si peu peut appliquer des expressions modernes à des événemens d’un autre siècle, il est permis de dire que Clément VII, en engageant Catherine à se retirer dans un couvent, avait conseillé aux deux époux une séparation de corps ; que Henri VIII, désireux de redevenir libre, avait demandé le divorce, et que Cranmer, avec ses partisans plus hardis, plaidait ni plus ni moins que la nullité du mariage royal. Ce dernier avis était, dans la circonstance, la négation de l’autorité du saint-siège : c’était à vrai dire, le premier mot d’une révolution.

Qu’en pensait le peuple anglais ? Il n’avait guère eu l’occasion de manifester son opinion autrement que par des démonstrations populaires ; Wolsey, tout-puissant depuis bien des années, n’aimait pas les parlemens ; à peine avait-il réuni les chambres quelques semaines en treize ans. Son pouvoir était chancelant. Les lords et les députés des communes le détestaient et le roi s’était dégoûté de lui depuis qu’il avait constaté ses allures louches dans l’affaire qu’il avait le plus à cœur. Archevêque d’York et premier ministre de la couronne, Wolsey parlait ouvertement en faveur du divorce du roi. Cardinal et prétendant à la tiare, il conseillait en secret au pape de ne pas céder, parce qu’il ne voulait mécontenter ni le