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reste est de me laisser égorger inutilement. La perspective est consolante ! »

Elle n’était pas heureusement si prochaine que le pensait Muscar. Tout au rebours, dans le temps même qu’il écrivait ces lettres désespérées, d’importantes négociations se poursuivaient avec les principaux chefs de la chouannerie et, de ce côté déjà, bien qu’il n’y eût encore rien de signé, les opérations s’étaient sensiblement ralenties. Il arrive toujours un moment dans les guerres civiles où l’oubli s’impose aux belligérans par une commune lassitude. Après le 9 thermidor, il s’était fait un grand apaisement dans les esprits. L’exaltation révolutionnaire avait perdu beaucoup de sa force ; les idées avaient pris une direction nouvelle, le ton, les manières, le langage même s’étaient modifiés. L’odieux tutoiement républicain disparu et la modération était redevenue, comme on disait, à l’ordre de jour.

Un des premiers actes du nouveau comité de salut public, élu sous le coup de la mort de Robespierre, avait été de rappeler les généraux et les représentans les plus compromis par leurs excès dans l’Ouest, et de proposer à la convention, qui s’était empressée de la voter, une loi d’amnistie pour tous les insurgés qui déposeraient les armes et se soumettraient aux lois de la république. En même temps, pour assurer l’exécution de ces décrets, quinze nouveaux représentans s’étaient vus investis des pouvoirs les plus étendus.

C’étaient là de sages et bonnes mesures et qui ne pouvaient manquer de porter leurs fruits, en l’état de fatigue et de dénûment où se trouvait, elle aussi, la chouannerie. Dans le courant de février 1795, étant à Châteaubriant, Muscar eut la joie d’apprendre la signature de la paix de La Jaunaye, entre les principaux chefs vendéens. Cormatin, Charette, Sapinaud et les mandataires de la convention. Pour la première fois depuis trois ans, après tant d’épreuves et de tribulations, il allait enfin pouvoir goûter un peu de repos, et certes il l’avait bien gagné.


V

Le printemps de 1795 fut pour la révolution une heureuse époque ; en même temps que la Vendée posait les armes, des trois grandes puissances continentales engagées dans la coalition, l’une, la Prusse, s’en retirait ; l’autre, l’Espagne, était sur le point d’en faire autant. Quant à l’Autriche, affaiblie par vingt défaites, trahie par ses alliés, elle commençait à se lasser d’une lutte dont le poids allait désormais retomber sur elle seule. Victorieuse sur toutes ses frontières, et bien au-delà, maîtresse de la Belgique, de la Hollande et du