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rassemblement ennemi, se jeter vivement sur lui et le prendre ou le détruire. Muscar n’était pas seul à penser cela : c’était aussi l’opinion du général Haxo, son chef immédiat, qui avait fait la grande guerre en 1793, avec Kléber et Marceau, et qui enrageait à présent d’en être réduit à des opérations de police et de gendarmerie. Mais les chouans se gardaient bien, grâce à la complicité des habitans, et l’occasion si désirée ne se présentait pas. Un jour pourtant, au commencement de 1794, il parut qu’elle était arrivée : le général s’étant avancé jusqu’à Machecoul, avec son état-major, apprit que les brigands, au nombre de 3,000, occupaient La Chevrolière, près Nantes. Aussitôt le commandant du 8e est prévenu par un courrier et reçoit l’ordre de se porter sur eux. Ils tenaient d’assez fortes positions en avant du village et leur supériorité numérique était énorme, n’y ayant du côté des bleus qu’un bataillon et une centaine de cavaliers. Cependant Muscar n’hésite pas : après une courte canonnade, il enlève ses hommes, se met à leur tête et se jette intrépidement sur le front de l’ennemi, pendant que ses dragons l’abordent de flanc. Devant cette double attaque, les chouans lâchent pied et, comme à leur accoutumé, s’enfuient dans la direction des bois. Muscar, sans perdre un moment, se lance à leur poursuite. Il va les atteindre, il est déjà sur eux, quand un coup de feu lui traverse le corps, le jette à terre et lui arrache au dernier moment sa proie. C’était encore un beau succès pour le 8e et pour son chef ; car les chouans, malgré leur retraite précipitée, laissaient nombre d’entre eux sur le carreau. Mais il s’en fallait que le but de l’expédition fût atteint ; le rassemblement n’était que dispersé, nullement détruit et il n’allait pas tarder à se reformer. Effectivement, à peine guéri, Muscar eut derechef affaire à lui du côté de Chinon et n’y fut pas plus heureux, une balle lui avant fracassé le bras droit, et l’ennemi lui ayant, cette fois encore, échappé.

Dans ces deux rencontres, Muscar avait fait plus que déployer beaucoup de bravoure personnelle, il avait montré du coup d’œil et de réelles aptitudes d’homme de guerre. Mais quels que fussent ses talens et son activité, il était impossible qu’il se soutint longtemps avec quelques centaines d’hommes, épuisés de fatigue et mal nourris, contre un adversaire toujours en mouvement et dont les forces, au lieu de diminuer, s’augmentaient incessamment. Chaque jour l’un ou l’autre de ses postes était attaqué et perdait du monde, chaque jour, au contraire, l’exaspération croissante des paysans contre la maraude et les excès des bleus amenait à Cœur-de-Lion de nouvelles recrues. Déjà ce hardi chef de bandes avait failli surprendre Châteaubriant et, pour ravitailler la malheureuse garnison de cette petite ville, étroitement bloquée, réduite à deux