Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demeurée très belliqueuse, et la nouvelle de celle rupture fut accueillie par elle avec de véritables transports d’enthousiasme. Sans doute, la lutte promettait d’être rude et longue, et sans prévoir encore le régime affreux de la Terreur avec son cortège odieux de délateurs et d’espions et sa devise sanglante : La victoire ou la mort ! plus d’un parmi les chefs pouvait déjà, d’après ce qu’ils avaient souffert en pleine paix, se faire une idée des cruelles épreuves qui leur étaient réservées. Mais, à côté de cette élite d’officiers aristocrates voués à toutes les souffrances, victimes expiatoires, marqués d’avance en dépit de leur fidélité au drapeau, vraie chair à guillotine, il y avait la masse de la troupe ; des bas-officiers et des officiers de fortune eux-mêmes, devant qui s’ouvrait soudain tout un monde d’espérances et d’ambitions inconnues jusque-là.

Muscar, un des premiers, toucha la terre promise : les hostilités n’étaient pas commencées qu’il recevait, le 26 avril, l’épaulette de sous-lieutenant ; elles l’étaient à peine, en juin, qu’on lui donnait celle de lieutenant ; enfin, le 20 septembre 1792, à Valmy, où Kellermann avait remarqué la belle tenue de sa compagnie, il était fait capitaine-adjudant aux adjudans-généraux, soit, en six mois, trois grades, alors qu’il avait mis quinze ans à conquérir son premier galon de sous-officier. C’est ainsi, pour conclure du particulier au général, que, dès le début de la guerre, le commandement se trouva renouvelé, rajeuni dans tous les anciens corps et qu’il fut possible de l’organiser, du jour au lendemain, dans les bataillons de formation nouvelle sans trop de difficultés.

Certes, dans ce mouvement inouï de bas officiers improvisés capitaines et d’officiers particuliers passant d’emblée au premier rang, il se glissa bien des erreurs et trop souvent l’impéritie bruyante, la jactance, le civisme, eurent le pas sur le mérite et le courage modeste. Mais, à côté de ces fautes inévitables, quelle bonne fortune et quelle précieuse ressource pour la révolution d’avoir trouvé dans l’héritage de la monarchie ces vieux cadres tout faits pour former sa jeune armée, lui donner confiance en elle-même et la discipliner ! Longtemps, par un sentiment de chauvinisme étroit et borné, l’honneur d’avoir sauvé la France de l’invasion a été rapporté tout entier aux volontaires de 1792, et, de nos jours même, en dépit des textes les plus décisifs, cette opinion prévaut encore. L’exemple de Muscar est bien peu de chose auprès de la belle démonstration de M. Camille Rousset ; mais n’y ajoutât-il qu’un trait qu’il aurait encore, à ce qu’il semble, son utilité, sinon pour la foule, au moins pour le trop petit nombre de gens que n’égare pas la haine de l’ancien régime et qui n’abdiquent pas en face de la révolution toute liberté de pensée.