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femmes recevaient alors une éducation savante qui ne le cédait guère à celle des jeunes gens. Elles eurent souvent un esprit supérieur, relevé par la hauteur de l’âme. Telle fut Vittoria Colonna. La renaissance a salué du nom de virago des femmes telles que Catarina Sforza, la prima donna d’Italia, qui, par l’énergie parfois féroce de la passion, ont égalé les plus rudes condottières. Ici, dans les salles des palais, sur le gazon des villas, c’est de conversations et d’aimables disputes qu’il s’agit. La donna di palazzo peut converser sur tout sujet, et le cortigiano peut lui conter toute histoire. C’était ainsi déjà au temps du Décaméron ; Boccace, alors, jetait comme un voile léger de périphrases sur ses tableaux les plus libres ; les conteurs du XVe et du XVIe siècles ont très souvent écarté le voile, Mais les jeunes filles étaient au couvent ou dans un appartement écarté, et les dames, dit Castiglione, devaient prendre simplement, en ces minutes difficiles, « un air réservé. »

Il fallait un décor magnifique pour encadrer l’élégance de cette vie polie, un déploiement extérieur et populaire qui montrât dans toute sa beauté la civilisation de la renaissance. Le tournoi féodal n’avait plus de valeur pour une société où le cavalier remplaçait le chevalier ; le vieux mystère ecclésiastique tournait à la représentation brillante, où la gaîté dominait de plus en plus ; les saturnales bourgeoises, les messes des fous, les joyeusetés d’écoliers ou d’artisans étaient bonnes pour les pays arriérés en culture, où les belles-lettres et les beaux arts ne formaient point encore l’ornement de la vie sociale. Durant près d’un siècle, l’Italie a célébré une fête merveilleuse dans laquelle les érudits, les artistes, les courtisans, les princes, les papes ont mis tout leur esprit et dont le spectacle s’est offert libéralement aux regards de la foule. La pantomime, le drame, l’intermède comique, l’allégorie mythologique, les scènes tirées des romans de la Table-Bonde, le cortège des chars et des cavaliers, les fantaisies du carnaval occupaient les rues et les places des grandes cités italiennes. Pie II passa à travers Viterbe, le saint-sacrement dans les mains, ayant à droite et à gauche des tableaux vivants : la Cène, le Combat de saint Michel contre Satan, la Résurrection, la Vierge enlevée par les anges. Charles VIII, à peine entré en Italie, vit jouer les aventures de Lancelot du Lac et l’histoire d’Athènes. Le cardinal Riario, neveu de Sixte IV, fit défiler devant Léonore d’Aragon Orphée, Bacchus et Ariadne, traînés par des panthères, l’éducation d’Achille, des nymphes que tourmentaient des centaures. Le tyran de la renaissance reconnaît dans ces splendeurs l’image de sa royauté ; il les présente à son peuple comme une leçon pittoresque de politique séduisante pour des âmes méridionales et légères, Lorsque César Borgia revint d’Imola