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ensemble l’enthousiasme et le scepticisme, la poésie et l’ironie ; n’oublions pas l’égoïsme. Pour les lettrés tels que lui, la fortune de leur esprit est l’affaire importante de la vie ; mais il leur reste encore du loisir pour leur fortune temporelle. Nous les admirons, et nous serions des ingrats si nous ne les aimions. Car ils vivent familièrement avec nous et ne nous déconcertent pas par leur grandeur d’âme ; ils nous donnent les plaisirs les plus délicats, celui-ci, entre autres, de nous entretenir de nous-mêmes, tout en nous parlant sans cesse de leur gloire, de leurs amours, de leurs rêves, de leurs chagrins et de leur santé. De Cicéron à Pétrarque, de Pétrarque à Montaigne, ils ont été les dieux domestiques de tous ceux qui pensent, qui lisent ou écrivent, et ne désespèrent point de leur ressembler par quelque endroit.

Le génie italien n’a point été faussé par l’influence constante des lettres latines. Le latin avait toujours été la langue de l’église en même temps que celle de la science pour la chrétienté entière ; sans effort ni raideur pédantesque, il reparut avec toute sa valeur littéraire dans la littérature épistolaire qui renaissait sous la plume de Pétrarque ; au XVe siècle, dans les encycliques et les bulles du saint-siège, les chroniques de Platina et de Jacques de Volterra, les biographies de Vespasiano Fiorentino, les Commentaires d’Æneas Sylvius ; enfin, dans une foule d’œuvres poétiques, dont l’Africa marqua le début, épopées, bucoliques, élégies, épigrammes. Cicéron, Catulle et Virgile revivent dans la littérature néo-latine de l’Italie. Les grands historiens, Machiavel, Guichardin, s’inspirent des descriptions et des harangues de Salluste et de Tite Live, des réflexions morales de Tacite. L’entrée des comédies de Plaute sur le théâtre de Léon X n’étonna personne ; à Rome, comme à Naples, à Brescia, à Bergame, à Padoue, à Florence, la Commedia dell’arte et la farce populaire n’avaient-elles point conservé, dans le jeu de l’intrigue et le masque des personnages, les traditions dramatiques de l’Italie latine ?


IV

Nous venons de considérer l’une des deux faces de la renaissance italienne, l’Italien lui-même, étudié d’une manière toute subjective, l’homme moderne, affiné par l’antiquité, armé de critique, libre d’esprit, dont la volonté propre ou la force inflexible des choses limitent seules l’action. Passons maintenant à une série de vues parallèles qui achèvent la théorie de Burckhardt, à la rencontre de la conscience italienne avec les réalités du dehors, du monde extérieur, avec la nature, la société ; en d’autres termes, observons l’aspect