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cette exhumation des œuvres d’art, comme à la propagation des livres. L’antiquité retrouvée est une lumière qui permet aux Italiens de voir plus clair dans les détours même les plus tortueux de leur propre conscience. Les conspirateurs, les régicides s’inspirent de Salluste ; les meurtriers du duc de Milan, en 1476, étaient des jeunes gens que la mémoire de Catilina et de Brutus avait enflammés ; il y avait des humanistes dans le complot des Pazzi.

La renaissance italienne est, en effet, éminemment latine, et d’autant plus vivante. La dévotion pour les écrivains grecs était certes déjà très vive au XIVe siècle. Pétrarque expira, dit-on, le front penché sur un manuscrit d’Homère qu’il pouvait à peine épeler. Au siècle suivant, l’enthousiasme pour la Grèce classique, encore accru par l’émotion qu’éveilla en Occident la chute de Constantinople, toucha par moments à la superstition. Les grandes bibliothèques des Montefeltri, à Urbin, des Médicis, du Vatican, s’enrichissaient méthodiquement de manuscrits grecs. Les princes, les particuliers même pensionnaient les réfugiés byzantins, leur donnaient à corriger le texte des manuscrits, entretenaient des copistes, des traducteurs, des calligraphes, des relieurs, faisaient fouiller les greniers des couvents. Florence, Rome, Padoue avaient leurs professeurs publics de grec ; l’hellénisme, après s’être établi d’abord à Rome, au temps de Nicolas V et de Bessarion, se fixait à Florence dans l’académie platonicienne des Médicis. Mais l’Italie, poussée par l’instinct national, s’attacha toujours plus étroitement à l’antiquité latine. Gravior Romanus homo quam Græcus, disait le pape Pie II. La renaissance demandait à la Grèce des modèles littéraires, des doctrines philosophiques ; ce qu’elle recherchait dans les écrivains romains, c’était l’homme lui-même. La littérature grecque a un caractère impersonnel qu’elle doit à son haut idéalisme, à son indifférence pour le détail biographique, le trait individuel. Les Latins ont vécu et pensé dans une sphère moins sublime ; ils ont eu plus de curiosité pour leur propre vie morale, un sentiment plus intime des choses de l’âme, un goût décidé pour l’observation de conscience. Ils aiment à se révéler à autrui, même par l’aveu de leurs faiblesses ; ils ont, pour ainsi dire, déjà des confessions. Leur œuvre fut ainsi plus humaine que celle des Grecs, et c’est à la pratique de leurs livres que se rapporte le plus justement la notion d’humanités. L’Italie se rangea donc à cette tutelle littéraire de Rome que Dante, disciple de Virgile, avait reconnue avec une piété filiale. Pétrarque fut, par excellence, le lettré italien de la renaissance, formé à l’école des Latins ; il est aussi le premier en date et peut-être le plus grand des humanistes de l’Occident. Quoiqu’il écrive, c’est en réalité sur Pétrarque qu’il écrit. Il mêle à merveille