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mais c’est un défaut. » Il ne rencontre qu’une fois le nom de Bossuet, et avec quel dédain ne l’écarte-t-il pas ! Un homme à citer, il le reconnaît, parmi les écrivains qui ont illustré le règne de Louis XIV, mais une gloire qui ne vivra pas ; de la controverse, des sermons et des oraisons funèbres, l’histoire rapidement tracée d’un peuple barbare et malpropre tel que les juifs, on ne va pas à la postérité avec cela. Si Cicéron ne nous avait laissé que de pareils monumens de son génie, qui diable se soucierait aujourd’hui de le lire ?

Les jugemens de Grimm sur son propre siècle offrent également une sagacité mêlée de gaucherie, et parfois même en défaut. Fontenelle est médiocrement caractérisé : « un homme célèbre à qui il ne manquait, pour être grand, qu’une imagination plus vive, échauffée par un cœur sensible. » Grimm avait d’abord été assez touché de l’éloquence de Thomas ; sous une manière trop abondante, trop fastueuse, il avait cru découvrir des qualités de premier ordre. Il est vrai qu’alors même, dans un remarquable passage, il signalait le vice et le vide de ces talons académiques. Il leur manque, selon lui, la connaissance des hommes et des affaires. « C’est cette connaissance qui mûrit l’esprit, qui lui donne cette gravité des anciens inconnue parmi nous, qui le dégoûte de l’abondance fastidieuse de mots qui ne signifient rien, et qui ôte à l’orateur je ne sais quel enfantillage dont les enfans qui l’écoutent sont épris, mais qui déplaît aux hommes de sens et d’un goût véritable. » On remarquera que l’auteur de la Correspondance est constamment rigoureux pour Crébillon fils, qu’il préfère Mme Riccoboni à Marivaux, qu’il ne laisse à Duclos que « de petites tournures et de petites finesses. »

Devant le vrai mérite, au total, Grimm prend rarement le change. Les Mémoires de Mme de Staal l’ont à bon droit enchanté ; à part la prose de Voltaire, il n’en connaît, pas de plus agréable que celle de cette femme. Avec Sedaine également, aucune hésitation. Il y avait dans ce talent naïf, un peu rude, quelque chose qui devait plaire à un esprit novateur. Grimm ne craint pas d’avancer que, si Sedaine eut su écrire, il aurait fait revivre la comédie de Molière. Rapprochement plus inattendu encore, le génie de Sedaine lui paraît analogue à celui de Shakspeare. C’était du reste aussi l’avis de Diderot, qui, plus exubérant encore que son ami, et parlant du Philosophe sans le savoir, s’écriait : « Malheur à ceux qui n’en seront pas fous ! » Sedaine reste un chapitre de notre histoire littéraire à écrire ; Sainte-Beuve, qui a tout su, tout vu, tout dit, a oublié celui-là.

On assiste, dans la Correspondance, à l’éclosion d’une foule de réputations, débuts qui n’ont pas toujours tenu ce qu’ils promettaient, succès terriblement oubliés aujourd’hui : Dorat, Colardeau,