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mes enfans, leur dit-il, soyez tous bons afin que je puisse vous aimer tous et que nous puissions être tous heureux. » On enseigne du reste aussi à ce prince les saines colères : « Le prêtre cruel et atrabilaire, lui fait-on dire, dont le Dieu demande le sang de mon peuple ne sera point mon sujet ; je le chasserai loin de ma vue, car il n’est pas digne de vivre parmi ceux qui sont heureux. »

On est toujours de son temps par quelque côté, mais n’est-il pas vrai que Grimm nous paraissait devoir être le dernier à tomber dans les solennelles niaiseries de son siècle ?


Si la politique et la philosophie trouvent place dans la Correspondance, c’est de la littérature et des arts que Grimm entretient surtout ses lecteurs. Pour les arts, sauf, la musique, il ne paraît pas avoir de compétence particulière. Les comptes-rendus qu’il donnait des Salons avant d’en charger Diderot, sont insignifians. Il parle de la peinture comme de l’architecture, comme de la danse (sur laquelle il a une longue dissertation), avec son sens accoutumé, voilà tout. Mais, bien que manquant du tempérament de l’artiste, il avait de l’art une notion élevée. C’est la poésie, jugeât-il, qui fait le mérite de l’œuvre pittoresque, et de celle qui est empruntée à la vie réelle aussi bien que de celle qui représente une scène héroïque. Il y a un élément d’imagination dans un tableau de Teniers ou de Van Ostade, dans une paysannerie de Sedaine. Le charme, dans les arts, vient toujours d’une secrète communication d’idées tantôt sublimes, tantôt délicates et fines.

Grimm aurait applaudi à cette définition égarée dans un roman de Jean-Paul et qui veut qu’un ouvrage ait le caractère de la nécessité. Une lettre de Diderot nous fait assister à une discussion qu’il eut avec son ami sur la méthode. Grimm la détestait ; il n’y voyait que pédanterie : « Ceux qui ne savent qu’arranger, soutenait-il, feraient aussi bien de rester en repos ; ceux qui ne peuvent être instruits que par des choses arrangées feraient tout aussi bien de rester ignorans. » Il n’excluait pas précisément la critique, on le comprend, puisqu’il en faisait lui-même son métier, mais il ne permettait pas qu’elle se crût capable de former des artistes. L’artiste est l’ouvrage de la nature et il faut que la nature agisse en lui, il faut qu’un pouvoir inconnu le presse, qu’un feu l’embrase, qu’un démon l’agite. Le poète doit être comme le jeune homme qu’une sève de puberté jette dans un trouble inconnu.

Laissons de côté ce qui, dans ces idées, ne concerne évidemment que des genres déterminés de poésie, et il nous restera le sentiment fondamental de Grimm : le besoin du vrai et du naturel, un goût pour la force, même désordonnée. Que le génie soit inculte, il n’y voit pas grand mal ; sa crainte est plutôt que la lecture,