Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/337

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme le monde physique : ne vouloir pas que le plus fort soit le maître, c’est à peu près aussi raisonnable que de ne vouloir pas qu’une pierre de cent livres pesant pèse plus qu’une pierre de vingt livres. C’est la science dit calcul et des différentes forces qui fait les véritables élémens du droit naturel et du droit des gens, que ce soit par la force des armes, ou par celle de la persuasion, ou par celle de l’autorité paternelle, que les hommes aient été subjugués dans le commencement, cela est égal : le fait est qu’ils n’ont pu éviter d’être gouvernés, et qu’ils le seront toujours ; qu’un homme seul ne peut rien contre la masse, et qu’il faut, quelque hypothèse que vous supposiez, qu’il souffre la pression de cette masse ; que l’état des sociétés est un état forcé dont l’action et la réaction sont continuelles, et qu’il est aussi absurde de vouloir assurer aux empires une tranquillité permanente qui consisterait dans la cessation de la réaction, que de certifier à un homme qu’il ne recevra jamais de dommage injuste de la masse générale, ou qu’il peut transiger à volonté avec, elle. »

Quand on a l’esprit aussi libre en politique, on est bien près d’être indiffèrent en ce qui concerne les formes de gouvernement. Il n’en est point de parfaite, pense Grimm, et il est vain d’en chercher une qui convienne à tous les peuples, la meilleure étant pour chacun celle qui va le mieux à son génie. « Celui qui conseillerait aux Turcs de changer leur manière de se gouverner contre un gouvernement républicain ou même monarchique proposerait une chose absurde. » Au fond, et il ne s’en cache guère, les préférences de Grimm sont pour un despotisme éclairé. Les hommes, dira-t-il dans ses momens de désillusionnement, ne sont pas plus faits pour la liberté que pour la vérité, bien qu’ils aient sans cesse ces deux mots à la bouche ; l’idée seule du genre humain en est capable. Après quoi, et ne voulant pas se montrer plus crédule dans un sens que dans l’autre, Grimm reconnaîtra qu’on sommeille facilement sur le trône, que les Titus et les Antonin sont rares, et que le despotisme amène les révolutions.

Si le droit se confond avec le fait et si le pouvoir le plus légitime est celui qui est le mieux exercé, combien ne serait-il pas nécessaire de mieux élever les fils des rois ! Cet excellent Grimm, qui, nous l’avons vu, avec son esprit aiguisé, n’en a pas moins des côtés de naïveté, a rédigé un projet d’éducation pour le trône. Nous connaissons son catéchisme social à l’usage de l’enfance : il en a composé un dans le même style à l’usage des princes. L’apprenti souverain y est instruit à former toute espèce de bonnes résolutions. « Que je suis effrayé de ma vocation ! s’écrie-t-il ; je ne suis qu’un faible mortel et j’ai à remplir les devoirs d’un dieu. » Il s’adresse à ceux qu’il gouvernera un jour : « O vous, mes sujets moins que