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Pénétré de cet état de viduité, je m’humilie devant le souverain distributeur de toute lumière, et le prie avec ferveur de répandre son esprit d’entendement sur ces bons laboureurs, et de leur ôter l’esprit d’exagération et l’abondance des mots vides de sens, afin qu’ils apprennent à parler et à écrire intelligiblement, à savoir ce qu’ils disent, à fuir l’emphase ténébreuse servant de passeport aux lieux-communs, à labourer, bûcher, piocher, défricher, fumer, engraisser, dégraisser, dessécher, arroser, améliorer, féconder, fertiliser tous les champs de la terre dans toute sa circonférence, de l’extrémité d’un pèle à l’autre, avec un peu plus de profit, pour l’utilité commune et nu peu plus d’avantage pour leur propre récolte. Amen. »

La tendance essentielle chez Grimm n’est point douteuse. Il porte dans la politique à la fois son esprit critique et son sens rassis. Les abstractions des théoriciens lui sont aussi antipathiques que les déclamations des frondeurs. Il ne croit ni au contrat social, ni au droit monarchique. Celui-ci, « je ne sais quelle émanation divine dont on n’a jamais vu ni patentes ni diplôme ; » celui-là, une idée métaphysique dont « on n’a jamais trouvé trace dans l’histoire de l’homme. » Grimm en politique est un réaliste, croyant au fait plus qu’au droit, et estimant que les lois de l’histoire tiennent de fort près à celles de la nature. « Celui, dit-il, qui regarderait le temps qu’il fit le jour de l’assassinat de César comme une circonstance indifférente à l’événement ne connaîtrait pas la marche de la nature. » — « Voulez-vous savoir ce que c’est qu’une loi naturelle, écrit-il ailleurs, en voici une : Tu ne mettras pas ton doigt dans la mèche d’une chandelle allumée. Et savez-vous pourquoi c’est là une loi naturelle ? C’est que s’il vous prend fantaisie d’y manquer, vous vous brûlerez le doigt et que cela vous fera mal, et que vous n’aimez pas le mal. » Ce n’est pas sans une certaine brutalité que notre écrivain va jusqu’au bout de sa pensée en ces matières. « Je n’entends parler dans les écoles que de principes et de droit ; j’ouvre l’histoire et n’y trouve que pouvoir et fait. Ne vaudrait-il pas mieux partir du principe simple qu’à la vérité tout est force dans la morale comme en physique, que le plus fort a toujours droit sur le plus faible, mais que, tout calcul fait, le plus fort est celui qui est le plus juste, le plus modéré, le plus vertueux ? » Et, enfin, dans une page qui restitue toute la doctrine sociale de Grimm : « Voulez-vous à présent que je vous dise ce que je pense ? Ne soyons pas enfans, et n’ayons pas peur des mots. C’est que, de fait, il n’y a pas d’autre droit dans le monde que le droit du plus fort ; c’est que, puisqu’il faut le dire, il est le seul légitime. Le monde moral est un composé de force