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fatalité est le fondement de toutes les vertus civiles comme de tout l’ordre humain. « Affranchissez, dit-il, un seul homme sur la terre des liens de la fatalité, enlevez-le à la main invisible du sort, dissipez autour de lui les ténèbres de l’incertitude, et par ce seul acte vous l’aurez rendu le plus injuste, le plus immodéré, le plus exécrable de tous les hommes. »

Nous ne demanderons pas plus à Grimm qu’à aucun autre d’être toujours d’accord avec lui-même. Il lui arrive, comme à tout le monde, de donner à de simples impressions une ferme plus générale, plus affirmative qu’il ne faudrait, quitte à en faire autant une autre fois pour des impressions contraires. Il est des jours, par exemple, où il ne veut pas entendre parler de progrès. Le genre humain lui semble rester toujours le même, « ni meilleur ni plus pervers, malgré le changement perpétuel de ses vices et de ses vertus. » Tout est évolution ou révolution, et « les plus beaux siècles sont précisément le germe des siècles de décadence. » — « Qui osera résoudre ce problème ? Ecrit-il ailleurs. Lorsqu’on voit d’un côté l’influence de la liaison politique et mutuelle de tous les peuples, la prompte communication des lumières d’une extrémité de l’Europe à l’autre, le mouvement prodigieux porté dans toutes les parties par l’industrie et le commerce, l’établissement, des postes et de l’imprimerie, on est tenté de croire que les progrès de la raison ne finiront plus qu’avec notre planète, et que le genre humain, à mesure qu’il vieillira, deviendra de plus en plus éclairé, sage et heureux. Quand on considère, en revanche, combien les bons esprits sont rares, combien il y a de têtes absurdes ; quand on pense que la multitude se paie toujours de mots, que ceux qui parlent le même langage, qui emploient les mêmes expressions, n’ont quelquefois pas une notion commune entre eux, alors on commence à douter que la raison et la vérité soient faites pour l’homme. » Cependant, ces doutes ne sont pas constans et il est d’autres jours, nous l’avons dit, où sa mauvaise humeur habituelle contre le siècle fait place à un sentiment de confiance. Grimm, dans ces rares momens d’optimisme, ne craindra pas d’avancer que nous valons mieux que nos pères et que nos neveux vaudront mieux que nous. Les esprits, en France, lui paraissent devenus plus sérieux, plus portés aux choses utiles : l’Europe tout entière s’achemine vers une époque où les droits de l’humanité seront mieux connus et reposeront sur leur propre force.

Parmi les progrès que la société lui semblait sur le point d’accomplir, Grimm rangeait une révolution qui devait avoir sur toutes les précédentes l’avantage de ne pas coûter de sang. Il était frappé d’une « lassitude » générale du christianisme qui se manifestait de