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une salle de comédie où l’on n’entend point, et, à Paris, une salle d’opéra où l’on ne voit point. Le dessin de nos parcs est également médiocre. « Quand nous nous serons défaits de la petite morgue nationale qui ne sied qu’aux enfans, nous conviendrons qu’il faut apprendre des Italiens et des Allemands à faire de la musique, et des Anglais à former des jardins. »

La conclusion serait forcée quand même elle ne se trouverait pas si expressément indiquée : Grimm n’aime point notre pays. Le Français, à ses yeux, n’a d’autre supériorité sur les autres nations que la gaîté du caractère, une vivacité qui touche à la pétulance, mais qui lui donne du ressort dans l’adversité et le tire parfois de l’abîme où elle l’a jeté. Ce qui domine chez nous, c’est la présomption, la vanité, l’enfantillage. « O Athéniens, s’écrie ce barbare égaré dans l’Attique, vous n’êtes que des enfans ! »

Il faut, il est vrai, faire attention à la date des lettres lorsqu’on fit la Correspondance. Bien des Événemens survinrent pendant les vingt années que Grimm tint la plume, bien des changemens s’accomplirent et modifièrent ses jugemens. En particulier, son sentiment sur le temps même où il vivait. Il parle souvent de décadence, surtout au commencement ; il note les progrès du bel esprit, du mauvais goût ; il est des momens où il croit voir l’ignorance, la superstition, la barbarie reprendre le dessus. Quelques années passent et l’impression a changé. La frivolité du Français, qui tient d’ailleurs à ses grâces et à ses agrémens, ne l’empêche pas de s’acheminer vers on caractère de solidité. Le goût de L’instruction et des sujets sérieux s’est répandu. Si les hommes de génie sont rares, l’empressement que leur montre le public témoigne de la considération dont ils jouissent. Bref, ce siècle qu’en 1764 on nous déclarait ingrat et stérile, on reconnaît, en 1770, qu’à tout prendre il en vaut bien un autre. Voilà, du moins, pour la Correspondance littéraire ; vienne la révolution, Grimm, dans ses lettres à Catherine, deviendra naturellement plus hostile qu’il n’avait jamais été.

Grimm n’a pas une philosophie, mais il est philosophe. Il l’est en ce sens qu’il s’est fait un certain nombre de questions sur les origines et les fins du monde, et il ne l’est pas si, pour l’être, il faut avoir trouvé une réponse à ces questions. Il diffère en cela de Diderot. Diderot, avec son ardeur d’esprit et son génie divinatoire, court plus vite aux solutions ; il a l’hypothèse dogmatique ; il s’imagine volontiers être en voie de saisir le mot de l’univers. Grimm, au contraire, reste habituellement préoccupé de la faiblesse de l’esprit humain et du caractère relatif de nos connaissances. Il se rend compte, au reste, de cette différence de tempérament philosophique