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noble s’avancer en Didon sur le bord du théâtre ; lorsqu’on entendit la voix la plus belle, la plus flexible, la plus harmonieuse, la plus imposante ; lorsqu’on remarqua un jeu plein de noblesse, d’intelligence et des nuances les plus variées et les plus précieuses, l’enthousiasme du public ne connut plus de bornes. On poussa des cris d’admiration et d’acclamation ; on s’embrassa sans se connaître ; on fut parfaitement ivre. Après la comédie, ceux qui avaient vu la pièce se dispersèrent dans les différens quartiers, arrivèrent comme des fous, parlèrent avec transport de la débutante, communiquèrent leur enthousiasme à ceux qui ne l’avaient pas vue, et les soupers de Paris retentirent du nom de Raucourt. »

Le Théâtre-Français, malheureusement, lorsque la Correspondance commença, était en pleine décadence. Destouches avait déjà donné ses meilleures pièces, Piron la Métromanie. Crébillon Rhadamiste, Voltaire Zaïre, Alzire, Mérope, Mahomet. On était livré aux Marmontel, aux Saurin, aux La Touche, Pour un ouvrage de mérite qui paraissait de loin en loin, il en était une foule qui se traînaient misérablement dans l’imitation des maîtres. Aussi cette partie de la Correspondance est-elle assez fastidieuse. Grimm analyse les pièces, nous explique comment il les aurait conçues, et les refait. L’examen du Cosroès d’un M. Le Fèvre n’occupe pas moins de dix pages. En général, mais cela était inévitable, la Correspondance pèche par le défaut de proportion ; l’importance donnée aux sujets n’y est pas toujours en rapport avec celle qu’ils conservent pour nous. Les ouvrages qui ont fait époque dans l’histoire du siècle passé se perdent dans un océan de plats romans, de poésie insipide, dans un déluge de pamphlets surtout, dont on n’aurait pas l’idée si l’on ne feuilletait justement les catalogues que Grimm en a dressés. Rien ne lui parait indigne de l’attention de ses lecteurs ou plutôt de ses lectrices ; il leur signalera un Abrégé de l’art des accouchemens, des Soins faciles pour la propreté de la bouche, et une brochure sur le Traitement des cors aux pieds.

Grimm est le véritable précurseur de la critique telle qu’elle est comprise de nos jours, de celle qui ne se contente pas d’analyser et de citer, mais qui juge les ouvrages, motive les appréciations, discute les doctrines, rattache aux livres les considérations qu’ils suggèrent et fait parfois d’un article une œuvre originale. Et Grimm possède les qualités du genre, ayant son mot à dire sur tout sujet, unissant en lui le chroniqueur et le penseur, le mondain et l’érudit, le nouvelliste et le philosophe. Avec un penchant à la dissertation, surtout dans les commencemens, et n’attendant pas toujours pour discuter qu’un livre ou une pièce de théâtre lui en fournisse l’occasion, Grimm aime ce qu’on appelle les questions. Il les traite ex professa, en