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de l’Allemagne. Raynal ayant continué d’envoyer ses lettres à Gotha pendant près de deux ans encore lorsque Grimm avait commencé les siennes, j’en conclus que celui-ci marc lia d’abord sur les brisées de son ami et lui fit quelque temps concurrence. Il avait en soin, d’ailleurs, de se préparer le terrain. Je trouve dans une lettre à Gottsched, du 2 mai 1754, la trace d’un voyage qu’il venait de faire en Allemagne ; c’était la première fois qu’il y retournait depuis son arrivée à Paris, et il est naturel de supposer qu’il avait en pour objet d’y nouer des relations utiles à son entreprise. On ne sait trop, cependant, qui furent les premiers souscripteurs de la Correspondance. La duchesse de Saxe-Gotha et la landgrave de Hesse la reçurent dès 1754, la reine de Suède en 1750, et l’impératrice de Russie en 1763. La liste s’étendit peu à peu : on y voit figurer successivement Stanislas-Auguste, le margrave d’Anspach, le grand-duc de Weimar, la princesse de Nassau-Saarbruck. Ce fut Frédéric qui se montra le plus revêche. Grimm fit jouer tous les ressorts pour obtenir la souscription de ce prince : d’Alembert, d’Argens, la duchesse Louise. Frédéric avait d’abord refusé, prétextant les affaires dont il était accablé, il avait ensuite cédé aux instances de la duchesse, mais Grimm n’en fut pas beaucoup plus avancé. Le roi, comme nous le verrons, ne refusait pas seulement à Grimm tout témoignage de satisfaction, il ne payait pas plus sa prose qu’il n’avait payé celle de Thiriot. Le pauvre Melchior dut reconnaître alors combien il s’était trompé, dans sa Lettre sur Omphale, en vantant la générosité du royal joueur de flûte. Il se garda, toutefois, de céder à un mouvement d’humeur, continua d’admirer, de louer, et se crut certainement dédommagé de tous les déboires lorsque Frédéric le reçut à Potsdam en lui citant des vers de Banise.

On a prétendu qu’à côté des souscriptions princières, il y avait des abonnés d’un rang moins élevé. Barbier parle de copies qui circulaient tant en France qu’en pays étrangers, au prix de 300 francs l’abonnement. Cela ne peut guère se rapporter qu’à l’époque où Grimm avait remis l’entreprise en d’autres mains. « Je me suis fait depuis longtemps, écrivait-il en 1766, une loi de ne donner cette Correspondance qu’à des princes, et plusieurs bonnes raisons m’obligent de m’y tenir. On m’a fait quelquefois des offres de 100 pistoles et de 1,200 francs par an, pour l’envoyer à des particuliers très considérables en Angleterre, mais je n’ai jamais voulu. » Pour les souverains eux-mêmes, il paraît que les prix n’étaient pas constans : le roi de Pologne, par exemple, ne payait que 40 ducats par an, ce qui faisait 400 francs de notre monnaie, tandis que l’impératrice de Russie payait 300 roubles, c’est-à-dire environ 1,500 fr.