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estimables, qui n’ont qu’un reste des préjugés barbares de l’ancienne ignorance. » Il est certain, en revanche, que Grimm n’avait pas encore appris à écrire. Les fautes de langue qu’on a relevées dans le Petit Prophète sont peu de chose à côté de celles qui déparent l’introduction du Journal étranger[1].

L’époque décisive dans la vie de Grimm est le moment où il commença la correspondance qu’il envoya tous les quinze jours, pendant vingt ans, à diverses cours d’Europe, et dont la publication posthume lui a fait un nom dans les lettres. Rien de nouveau, au surplus, ni d’original dans cette entreprise du jeune Allemand ; il y avait en des prédécesseurs et il y eut des concurrens. La situation intellectuelle de la France et l’état de la presse à cette époque expliquent la curiosité que le journalisme manuscrit était destiné à satisfaire. Paris, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, fut plus qu’à aucun autre moment le foyer des idées propres à agiter le

  1. On a rapporté à ces premières années du séjour de Grimm à Paris des écrits qui ne lui appartiennent point. Règle générale : se défier quelque peu de l’érudition allemande. Il y a la parfois bien de la légèreté sous le zèle des recherches et sous l’appareil des discutions. M. Daniel commet une double erreur au sujet d’une traduction de la grammaire allemande de Gottsched. il attribue ce travail à Grimm et il le dit dédié à Mme Gottsched, Les deux assertions sont également erronées ; le livre dont il s’agit n’a point de dédicace, et la traducteur M. Quand, qui se fait connaître dans la préface comme un maître d’allemand, est nommé en toutes lettres sur le titre. Ce qui est vrai, c’est que Grimm avait recommandé l’ouvrage à Raynal, qui rédigeait alors le Mercure, et que l’article du Mercure (n° d’avril 1753) fait une allusion amicale à cette recommandation. Je trouve un exemple de la même légèreté dans un autre ouvrage de M. Danzel, sa biographie de Lessing, continuée et terminée par M. Guhrauer. L’auteur attribue à Grimm une brochure intitulée : Petits Discours sur les grands bouquets à la mode, qui parut en 1749, et dont une traduction allemande fut publiée la même année. Le titre de cette traduction indiquait le chevalier G… comme auteur de l’original ; M. Danzel ne paraît pas avoir en d’autre raison que cette initiale pour mettre la brochure su compte de Grimm, et il n’a pas fait attention que celui-ci n’était point chevalier, qu’en 1749 il venait à peine d’arriver à Paris, et qu’il n’était guère alors en position d’écrire sur les modes.
    Ces erreurs sont, du reste, peu de chose en comparaison de celle où est tombé M. Hermann Hettner, dans le volume qu’il a consacré à l’histoire littéraire de la France au XVIIIe siècle. Qui croirait qu’un écrivain, versé d’ailleurs dans la connaissance des lettres françaises, ait pu citer comme authentiques les prétendus Mémoires de Grimm, publiés en 1830, l’une des innombrables fabrications du même genre qui parurent à cette époque. M. Hettner s’appuie sur cette compilation pour représenter Grimm comme un espion politique, en correspondance secrète avec des princes étrangers, et trahissant, pendant la guerre de sept ans, le pays où il avait trouvé un asile. Il va jusqu’à reprocher à Sainte-Beuve de n’avoir pas su ou pas voulu, dans ses articles des Causeries du lundi, toucher à ce fâcheux côté de la vie de l’écrivain. La vécité est que personne, en France, ne songerait, je ne dis pas à réfuter les Mémoires dont il s’agit, mais à en faire seulement mention ; ce n’est qu’à l’étranger qu’on peut se tromper à ce point dans des questions de tact littéraire.