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Paris, pendant la première quinzaine d’octobre, un mouvement de baisse considérable. On redoutait à la fois l’explosion d’une guerre en Orient et des difficultés gouvernementales presque insurmontables chez nous. Gâchis au dehors et gâchis au dedans, ainsi se résumait la situation du lendemain pour les spéculateurs et les banquiers, qui avaient à prendre un parti immédiat s’ils ne voulaient se laisser surprendre par les événemens. Aussi la première impression fut-elle fort mauvaise et détermina des ventes sur toute la ligne. On peut mesurer par quelques exemples l’étendue et la portée des pertes infligées par ce courant d’opinion pessimiste à la fortune publique. Du 1er au 15 octobre, notre rente 3 pour 100 avait reculé de 1 fr. 60, la route amortissable de 1 fr. 35, le 4 1/2 de 1 franc ; l’Italien, de 0 fr. 70 ; la Hongrois, de 1 fr. 40. Sur certaines valeurs, la dépréciation avait dépassé toute mesure raisonnable. Ainsi, la Banque de France perdait 300 francs ; le Crédit foncier, 45 francs ; le Nord, 47 francs ; le Lyon, 16 francs ; le Suez, 50 francs.

La liquidation de quinzaine s’est donc effectuée dans les plus bas cours, avec toutes facilités, d’ailleurs, au point de vue du bon marché des reports et de l’abondance des ressources, mais sous l’influence de dispositions générales très peu favorables. Il semblait que cette fois les portefeuilles eussent pris peur à la suite de la spéculation et qu’à la fin du mois ou dût se trouver sous le coup de grosses livraisons de titres.

Il s’est produit pendant la seconde quinzaine une modification très sensible dans les tendances et dans l’allure du marché. Alors que le 3 pour 100, déjà en reprise assez vive sur ses plus bas cours (il avait reculé un moment jusqu’à 78.75) ne paraissait pas pouvoir dépasser 79.50 pendant les quelques jours qui ont précédé le second tour de scrutin du 18 octobre, il s’est élevé subitement au-dessus de 80 francs sur le résultat de ces élections complémentaires. La première journée électorale avait été une victoire pour le parti conservateur, la seconde était un succès décisif pour le parti républicain, auquel elle assurait une majorité considérable dans le prochain parlement. La Bourse a considéré que ce succès du parti en possession du pouvoir était de nature à atténuer les appréhensions qu’avait provoquées la perspective d’un partage éventuel de forces entre conservateurs et républicains dans une chambre où il eût été impossible de trouver les élémens d’une majorité de gouvernement et de constituer un ministère. La situation politique paraissant ainsi plus nette et l’horizon parlementaire moins chargé de nuages, les acheteurs, qui avaient subi au début du mois une défaite si écrasante, pensèrent que le moment de la revanche était venu et que les circonstances permettaient de donner une leçon au découvert.