Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce ne sera pas facile avec l’incandescence qui règne dans ces contrées.

Un des dangers de la situation présente, en effet, il ne faut pas s’y méprendre, c’est la surexcitation à laquelle se sont laissés aller ces jeunes états qui ont cru voir se rouvrir à leur profit la question d’Orient avec la révolution rouméliote, et qui attendent aujourd’hui avec une impatience fébrile ce que décidera la conférence de Constantinople. On a beau essayer de calmer leur ardeur et leur rappeler qu’ils n’ont, après tout, aucun droit, qu’ils ne sont ni attaqués, ni menacés : ils n’écoutent guère la sagesse et les conseils de prudence. Ils sont tancés, ils ont pris feu, ils se sont épuisés depuis quelques semaines en armemens ruineux, et il leur semble qu’on leur doit au moins quelques compensations, qu’on doit aux Serbes quelque peu de la vieille Serbie, aux Grecs la frontière du mont Olympe, qui leur avait été promise à Berlin, la Crète, qui irait si bien à leur ambition maritime. Ils ne manquent pas de raisons spécieuses pour démontrer que ce qu’on va faire pour rajuster tant bien que mal le traité de Berlin ne sera qu’un expédient chimérique et sans durée, que les Turcs ne rentreront en Roumélie, s’ils y sont autorisés, que pour semer sur leur passage les massacres et les ruines, que l’Europe ferait beaucoup mieux, dans l’intérêt d’une paix durable, de résoudre plus largement la question d’Orient en faisant aux uns et aux autres leur part légitime. C’est ainsi qu’on peut s’abuser à Athènes comme à Belgrade et se laisser aller à des fantaisies de conquête qui seraient aujourd’hui un vrai péril. La Grèce est certainement une des nations les plus intéressantes de l’Orient, et, en songeant à son passé, elle a bien le droit de croire à son avenir. Cet avenir cependant, qu’elle ne s’y trompe pas, elle ne l’assurera que par l’esprit de conduite, qui vaut mieux que l’esprit d’aventure, en sachant surtout éviter de se mettre en contradiction avec les vœux les plus évitions de l’Europe, qui a bien assez à faire aujourd’hui de régler les difficultés les plus pressantes, de limiter le feu au lieu de l’étendre en Orient.

Les difficultés, les complications diplomatiques ou autres ne manquent certainement pas aujourd’hui ; elles sont partout, elles ne finissent sur un point que pour recommencer sur un autre, et même en dehors de ces affaires d’Orient qui sont le perpétuel embarras de l’Europe, il reste toujours ce conflit qui s’est élevé il y a quelque temps entre l’Espagne et l’Allemagne, qui est loin d’être fini. Qui régnera, quel pavillon flottera sur l’archipel, ou tout au moins sur quelques îles de l’archipel des Carolines ? C’est la question qui se débat encore entre Madrid et Berlin, qui a déjà passé depuis trois mois par des phases assez diverses sans toucher a une solution. On croyait, il est vrai, que ce différend né dans les mers lointaines était entré depuis quelques