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ment empêchera-t-on cette crise assez inopportune des Balkans de devenir la crise de l’Orient tout entier ? C’est justement la question autour de laquelle on tourne et dont on a fini par confier la solution à une conférence qui va se réunir, qui se réunit en ce moment même à Constantinople. La Porte, qui n’a certes manqué ni d’habileté ni de modération dans ces affaires où elle est si singulièrement intéressée, la Porte s’est chargée d’en appeler à une délibération des grandes puissances, et tous les cabinets ont accepté le rendez-vous avec plus ou moins d’empressement, en faisant plus ou moins de réserves. Il est entendu d’ailleurs que, dans cette réunion nouvelle, due à l’initiative de la Porte ottomane, il ne s’agit que de traiter les affaires de Roumélie en prenant pour point de départie traité de Berlin et en reconnaissant les droits du sultan. A vrai dire, même dans ces limites, qu’on ne pouvait officiellement dépasser, la conférence qui se réunit aujourd’hui n’aura pas une œuvre facile. Tout le monde assurément va à la réunion de Constantinople avec l’intention de maintenir ou de rétablir la paix déjà assez menacée ; mais toutes les puissances n’ont pas les mêmes vues, les mêmes intérêts. La Russie et l’Angleterre, par exemple, ne paraissent pas avoir les mêmes idées sur les affaires de la Roumélie, et une des curieuses particularités de la situation présente est même le changement de rôle qui semble s’être opéré entre les deux puissances. Autrefois, c’était la Russie qui avait imaginé cette combinaison d’une grande Bulgarie, et elle ne l’abandonnait qu’avec peine au congrès de Berlin ; aujourd’hui, c’est le cabinet de Saint-Pétersbourg qui met le plus de vivacité à combattre l’union bulgare accomplie par une révolution, qui n’hésiterait peut-être pas à aller jusqu’à la dépossession du prince Alexandre. Au congrès de Berlin, l’Angleterre, représentée par lord Beaconsfield et lord Salisbury, s’enorgueillissait d’avoir fait échouer les projets russes, d’avoir suggéré cette création bizarre d’une Roumélie orientale, et, maintenant, ce sont encore les conservateurs anglais qui, sans craindre de se démentir, se font les patrons de l’union bulgare, qui seront les défenseurs du prince Alexandre contre la Russie. L’Autriche, de son côté, a ses vues et ses intérêts particuliers qu’elle essaiera de faire prévaloir, et elle sera vraisemblablement soutenue par l’Allemagne. — Avec de bonnes intentions, on se mettra d’accord, nous le voulons bien, on finira par découvrir une solution qui, en maintenant à peu près le traité de Berlin, fera jusqu’à un certain point la part des événemens par un régime inoffensif d’union personnelle en Bulgarie. C’est justement la question de savoir comment on arrivera à se mettre d’accord, à découvrir une combinaison assez ingénieuse pour tout concilier, et, celle combinaison une fois trouvée, quelles mesures on prendra pour faire exécuter les résolutions qu’on aura adoptées dans l’intérêt de la paix des Balkans.