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jeter au besoin dans la mêlée ; ils ont prétendu que, si les Bulgares s’affranchissaient des conventions de Berlin, ils avaient, eux aussi, le droit de se dégager, d’obtenir des compensations territoriales ; ils ont invoqué l’équilibre des Balkans, et, par un phénomène singulier, les Bulgares, qui croyaient n’avoir à se défendre que contre les Turcs, en sont depuis quelques jours à se demander s’ils n’auront pas à faire face à l’armée serbe qui borde leur frontière, qui menace Widdin. C’est la manière dont les Serbes leur témoignent leurs sympathies.

Les Bulgares ne se sont pas moins trompés dans l’idée qu’ils se sont faite de l’état de l’Europe. Ils se sont étrangement abusés s’ils ont cru qu’ils trouveraient quelque concours ou du moins une certaine tolérance chez les grands gouvernemens, que le fait de l’union une fois accompli serait accepté comme tant d’autres, qu’il n’y avait qu’à marcher sans hésitation, à trancher d’abord la question. Un des ministres du prince Alexandre assurait récemment, dans une conversation à Sofia, que les chefs bulgares n’avaient reçu ni mot d’ordre ni encouragement, qu’ils avaient agi sous leur responsabilité, qu’il n’était pas moins vrai que la Russie, par ses consuls, par tous ses agens, avait constamment favorisé les idées, les agitations qui conduisaient à l’union. La Russie, on n’en peut douter, a favorisé ces idées, puisqu’elle a été la première à leur donner une forme dans le projet de traité de San-Stefano : elle les a favorisées tant qu’elle a cru y voir son intérêt ; mais elle ne les favorise plus aujourd’hui, elle les désavoue au contraire par ses actes comme par son langage. Les délégués de la Bulgarie, envoyés il y a quelques jours auprès du tsar, à Copenhague, ont pu en juger, particulièrement à l’accueil sévère qu’ils ont reçu, et les rigueurs russes iraient même, dit-on, jusqu’à menacer le prince Alexandre de Battenberg dans sa position souveraine pour s’être associé à la révolution du 18 septembre. Ce qu’il y a de clair, c’est que le cabinet de Saint-Pétersbourg, par des raisons d’opportunité ou par quelque autre calcul, n’admet pas les événemens qui se sont passés à Philippopoli, et il agit certainement de concert avec les cabinets de Vienne et de Berlin. Les trois empires du Nord, sans être bien intimement d’accord peut-être, sans avoir les mêmes intérêts, semblent du moins aujourd’hui assez décidés à ne pas se diviser. Ils sont d’intelligence pour sauvegarder la paix de l’Orient, pour écarter tout ce qui pourrait la troubler, en maintenant autant qu’ils le pourront l’intégrité et l’autorité du traité de Berlin. De sorte que cette malheureuse révolution bulgare se trouve, pour le moment, dans des conditions assez difficiles, entre les autres Orientaux, qui ne lui ont été rien moins que sympathiques, et les cabinets européens, occupés depuis quelques semaines à chercher les moyens de ramener aux proportions les plus simples l’événement de Philippopoli.

Quels seront les moyens qu’on trouvera et qu’on emploiera ? Com-