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d’invalidation à l’égard de ceux qu’on accusait d’êire les ennemis de la république ! C’est fort bien. Seulement, les républicains oublient que les époques ne se ressemblent pas, qu’on ne se donne pas à volonté le luxe des fantaisies violentes ; ils ne voient pas que, dans tous les cas, les fructidors plus ou moins déguisés conduisent aux dix-huit brumaire, et qu’avec tout cela, c’est le pays qu’ils mettent en péril, c’est la France qui souffre dans ses intérêts, dans sa sécurité, dans sa paix intérieure comme dans sa dignité devant le monde.

En attendant, le monde marche, et tandis que la France se sent forcément réduite à un rôle effacé ou embarrassé par la politique qu’on lui fait, les questions se succèdent. Elles naissent du travail des races, du choc des influences, du mouvement perpétuel des ambitions ; elles ne font le plus souvent que renaître et passer par des phases toujours nouvelles, à vrai dire. Ainsi a reparu la question d’Orient presque tout entière avec cette révolution bulgare, qui a subitement remis en doute et la paix des Balkans et l’ordre diplomatique créé par le congrès de Berlin. Il y a déjà six semaines qu’a éclaté à Philippopoli le mouvement plus ou moins spontané qui a aussitôt retenti à Sofia, qui avait pour objet de réunir les deux Bulgaries en un même état sous le commandement du prince Alexandre, et, jusqu’ici, on n’est pas plus avancé que le premier jour ; on ne distingue pas un progrès sensible dans une situation qui reste plus que jamais troublée et obscure. On ne voit rien de distinct, si ce n’est que l’effervescence s’est répandue parmi les populations orientales, parmi ces jeunes états toujours prêts à saisir une occasion favorable, au risque de tout compliquer, et que l’Europe, à son tour, s’est trouvée inopinément placée en présence de son propre ouvrage, à demi aboli sans son aveu, contre ses volontés.

S’il y a une chose évidente aujourd’hui, c’est que cette révolution de Philippopoli a mal choisi son moment, et que ceux qui l’ont décidée et dirigée ont médiocrement évalué les conditions dans lesquelles ils tentaient l’aventure. Les Bulgares ont cru peut-être trouver quelque appui ou tout au moins des sympathies dans les nouveaux états formés des démembremens de la Turquie ; ils ont pensé qu’un mouvement accompli au nom de l’idée de nationalité ne rencontrerait que faveur, qu’ils auraient de la popularité et des alliances, que leur cause serait la cause de tout l’Orient. Bien au contraire : entre les populations orientales de toute race, Bulgares, Serbes, Hellènes, Roumains, il y a malheureusement des antagonismes invétérés, des diversités de traditions, des rivalités, des jalousies qui ont éclaté aussitôt. Serbes et Grecs, loin de se montrer favorables à la cause rouméliote, ont vu avec ombrage une tentative faite pour constituer une grande Bulgarie, et la révolution de Philippopoli n’a été pour eux qu’une occasion de réclamer dans leur propre intérêt, d’exercer des revendications nouvelles. Ils se sont mis précipitamment sous les armes pour être prêts à se