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général et persistant des dernières élections françaises, de dégager de cette grande manifestation publique une certaine lumière, un certain enseignement profitable pour tout le monde.

Et d’abord il faudrait s’entendre sur une prétendue contradiction entre le premier scrutin, qui n’aurait été qu’une surprise, et le second scrutin, qui serait, dit-on, un retour de l’opinion réfléchie et avertie vers les partis régnans, une revanche républicaine. On peut bien, si l’on veut, parler ainsi par tactique, pour se donner un semblant de dédommagement, pour se rassurer ou pour rassurer ceux qui se contentent de peu. En réalité, il n’y a ni contradiction ni oscillation ou retour d’opinion, et rien n’est changé, rien n’a modifié ou altéré la situation telle que l’ont moralement faite les élections premières. Le scrutin du 18 a certainement sa valeur, surtout pour le résultat matériel et numérique, il n’a pas l’importance et la signification qu’on lui attribue pour plusieurs raisons. La première raison, c’est que, quoi qu’il ait pu arriver, le vote du 4 octobre ne subsiste pas moins tout entier avec son caractère, avec sa portée morale. Il reste ce qu’il a été : la manifestation spontanée et libre de l’opinion appelée à se prononcer sur la direction des affaires du pays. Du premier coup le suffrage universel a attesté ses tendances avec une autorité suffisamment imposante, en déposant dans les urnes l’impression de ses griefs, de ses malaises, de ses désillusions si l’on veut, de ses ressentimens intimes contre tout un ensemble de faits, contre toute une politique. C’est là ce qui reste acquis et indélébile ; ce qui est dit est dit. La seconde raison, c’est qu’à ce scrutin du 18, qu’un s’est hâté d’exalter, dont on se prévaut aujourd’hui comme d’une victoire, comme d’une revanche éclatante, il n’est arrivé que ce qui devait arriver, ce qui était prévu, ce dont personne ne doutait. On savait bien que là où les républicains s’étaient divisés dans un premier vote, ils se réuniraient, ils concentreraient tous leurs efforts à un second scrutin. C’était une tactique connue d’avance et dont les résultats n’ont pu avoir rien d’inattendu. Qui donc, parmi les conservateurs les plus optimistes, avait pu croire qu’il n’y aurait pas en définitive une majorité républicaine dans le nouveau parlement ? Est-ce que ceux qui ont si bruyamment triomphé du scrutin du 18 avaient par hasard douté un moment du succès ?

On s’y attendait. Et cependant, pour obtenir ce singulier succès, que n’a-t-on pas dû faire ? Il a fallu que radicaux et opportunistes oubliassent pour un moment que, la veille encore, ils se déchiraient, qu’ils avaient échangé les plus cruels outrages, qu’ils s’étaient mutuellement accusés de tous les crimes ou de toutes les folies. Oui, il a fallu que des républicains, qui se disent des modérés et des politiques, allassent au scrutin les yeux fermés et le cœur contrit, résignés à tout, acceptant tout, votant en Seine-et-Oise pour des radicaux plutôt que pour