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façon plus vive s il dit que le froid est agréable… pour se chauffer. S’il n’y avait pas eu dans l’histoire de notre littérature une grande abondance de rhéteurs, il me semble effectivement que je connaîtrais moins le prix de l’éloquence, et c’est pourquoi, sans les aimer, je ne suis pas fâché qu’il y en ait.

Mais n’oublions pas que ce sont des rhéteurs, et qu’ils font de la rhétorique. Or c’est précisément ce que l’on pourrait bien avoir trop oublié quelquefois en parlant de Fléchier, et c’est, je crois l’expiration des alternatives que sa réputation a subies. Il y a deux manières de le lire, et deux manières de le juger : à ne le prendre que pour un rhéteur, il mérite en effet toutes les louanges que l’on en a faites, et même de plus vives ; c’est Pline, c’est Cicéron, c’est Isocrate, si vous le voulez ; mais à le prendre pour un orateur, et surtout pour un prédicateur chrétien, il en mérite moins, beaucoup moins. C’est la distinction que je ne trouve point assez nettement marquée dans le livre récent de M. l’abbé Fabre ; et c’est pourquoi j’ai tâché de la mettre bien en lumière. Car, d’une part, elle nous permet de reconnaître à Fléchier les qualités très réelles qui furent les siennes ; elle nous permet, d’autre part, de ne nous faire illusions sur aucun de ses défauts ; et elle nous aide à comprendre enfin pour quelles raisons Fléchier sera toujours un personnage intéressant dans l’histoire de la littérature française. A l’un des momens les plus intéressans de l’histoire de la langue et de l’esprit français il a été le représentant peut-être le plus éminent de ce que peuvent l’art, le travail, et l’ambition de réussir, dans un genre pour lequel il n’était point particulièrement né. C’est bien là quelque chose ? Sans partager pour l’évêque de Nîmes toute l’indulgente admiration de M. labbe Fabre, remercions-le donc sincèrement du temps et de la peine qu’il lui a consacrés. Disons même qu’il serait à souhaiter que de plus grands que Fléchier, dans notre histoire littéraire, eussent rencontré un pareil biographe. Avertissons-le seulement, « pour ôter comme dit Fléchier, le dégoût d’une louange continue, » et « donner quelque sel à un discours ordinairement insipide, » qu’il est temps maintenant de s’arrêter, que quatre forts volumes l’ont plus qu’acquitté de sa tâche, et qu’après avoir successivement écrit une Etude sur la correspondance de Fléchier avec Mme Deshoulières et sa fille deux volumes sur la Jeunesse de Fléchier, un autre enfin sur Fléchier orateur, ce serait trop d’en écrire un cinquième sur l’Episcopat de Fléchier, Je n’ai pas remarqué sans quelque inquiétude qu’à la six-cent-troisième page du présent livre Fléchier n’était pas encore mort


F. BRUNETIERE.