Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/227

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

supériorité de génie, mais bien une supériorité d’intelligence de la religion, et, si je puis ainsi dire, un rapport plus étroit, plus intime, plus profond de la nature de Bossuet avec l’essence du christianisme. Les qualités de Fléchier, au contraire, sont faciles à détacher du genre où il les a exercées. Aussi le plus beau jour de sa vie publique fut-il sans doute celui de sa réception à l’Académie française. C’était le 12 janvier 1673, et les discours, tenus jusqu’alors à huis-clos, s’échangeaient pour la première fois à portes ouvertes : le succès de Fléchier fut si grand que Racine, que l’on recevait le même jour, en fut découragé au point de ne vouloir pas même faire imprimer son Remercîment.

Les qualités littéraires de l’éloquence de Fléchier suffiraient à expliquer l’estime que les grammairiens et les rhéteurs ont faite et font encore aujourd’hui de lui. Nul à ce point de vue ne l’a loué plus brillamment que Villemain et c’est à bon droit que M. l’abbé Fabre a placé ses conclusions sous l’autorité d’un tel nom. Une autre raison, cependant, plus matérielle, doit être ici donnée pour rendre compte de l’influence assez longue et très réelle que Fléchier a exercée sur la prose française. Il faut se rappeler que les Sermons de Bossuet ne parurent seulement, pour la première fois, qu’en 1772, ceux de Massillon en 1745, et ceux enfin de Bourdaloue en 1713 et 1714 : ceux de Fléchier avaient paru depuis 1696. Si l’on fait attention maintenant au caractère de beauté grave, et presque triste, qui distingue les Sermons de Bourdaloue, qui ne s’apprécie bien qu’à la longue, qui a fait de ce jésuite le prédicateur préféré des protestans, on voit que, pendant près d’un demi-siècle, les Panégyriques et les Sermons de Fléchier ont presque seuls représenté l’éloquence de la chaire au temps de Louis XIV. Fléchier s’est donc trouvé le maître des prédicateurs, et le maître si bien reconnu, que Massillon nous l’avons dit, procède effectivement de lui pour une large part, pour tout ce qu’il y a, dans sa propre éloquence de plus mondain et de plus littéraire. Ses qualités ou ses défauts sont ainsi devenus, pour plusieurs générations, les défauts ou les qualités mêmes, acceptés, reconnus et, en un mot, classiques de l’éloquence de la chaire. Et par une communication, ou, si l’on veut, une contagion toute naturelle, comme l’éloquence de la chaire avait fait presque amant que la tragédie française pour la gloire de notre littérature ; comme d’ailleurs c’était la plus brillante application qu’il y eût encore eu de la prose à des matières sérieuses, puisque ni Montesquieu, ni Voltaire, ni Buffon, ni Rousseau n’avaient écrit ; comme enfin la prélature, jusqu’aux environs de 1750, dans une société très aristocratique, n’avait rien perdu de son prestige, il en résulta que les modèles de l’éloquence de la chaire devinrent pour les critiques les modèles mêmes de la’ prose française. Étant donné le