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philosophes nous n’aurions pas besoin de prédicateurs, ni même peut-être de religion. Massillon a trop donné à l’esprit de son siècle De même encore, lorsque Thomas admire dans Fléchier « l’art et l’harmonie d’Isocrate » avec la « tournure ingénieuse de Pline, » je ne suis pas si grand Grec, je l’avoue, que de pouvoir juger de la comparaison mais elle ne me paraît pourtant pas être de nature à convenablement caractériser un orateur chrétien. Je ne vois point, en effet ce que saint Antoine ou saint Benoit peuvent avoir de commun avec l’empereur Trajan, et, puisque les Panégyriques de Fléchier ressemblent à celui de Pline autant qu’on nous le dit, la même conclusion s’impose : ils sont donc très littéraires, et vraisemblablement moins chrétiens.

Et c’est bien l’impression qu’ils produisent : ils ne sont pas froids ni languissans, comme on l’a prétendu, mais, ainsi que ses belles Oraisons funèbres, celle de Lamoignon, celle de Montausier, celle de Turenne, parfaitement nobles et parfaitement polies, toutes ces compositions répondent à l’idée de leur genre, elles la remplissent même et l’égalent si l’on commence par la vider de tout ce qu’elle devrait contenir de chrétien. L’Oraison funèbre de Turenne est le chef-d’œuvre de l’oraison funèbre laïque, et le Panégyrique de sainte Madeleine, est un modèle en effet de panégyrique mondain. Ce que l’on y regrette uniquement, c’est une certaine chaleur de cœur, une ferveur de zèle, un feu caché qui devrait pénétrer et fondre ensemble, pour ainsi dire, toutes les parties du discours. L’orateur ne se livre jamais m jamais ne s’oublie lui-même ; le goût le lui défend, et il manquerait plutôt à tout qu’aux convenances de son auditoire ; il accepte ceux qui l’écoutent et ceux qui le liront pour juges : c’est un rhéteur et non pas un orateur chrétien. Mais les qualités littéraires y sont toutes ou presque toutes, supérieures peut-être à ce qu’elles sont dans les Panégyriques ou dans les Sermons mêmes de Massillon et de Bourdaloue. Car, ne nous y trompons pas : Massillon n’est pas plus élégant ni plus harmonieux que Fléchier, mais plus facile, plus abondant, moins étudié ; et Bourdaloue, s’il a certes de bien autres qualités, cependant il est doué d’une imagination moins vive, et certainement son style, toujours exact et judicieux, n’a pas l’éclat de celui de Fléchier. Mieux encore que cela : j’ose dire qu’il n’y a pas plus d’inversions, plus de comparaisons, plus de prosopopées, plus d’apostrophes, plus de prétentions et autres « figures » dans les Oraisons funèbres de Fléchier que dans celles de Bossuet ; seulement, dans Bossuet, pour les trouver il faut les y chercher, et, dans Fléchier, c’est ce qui brille aux yeux d’abord. Et c’est la supériorité de Bossuet, mais non pas une supériorité de l’ordre littéraire, ni même ce que l’on appelle communément, pour se dispenser d’approfondir davantage, une