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pour Bossuet, on sait dans quel état et à travers quelles vicissitudes les manuscrits de ses Sermons sont parvenus jusqu’à nous. Il n’y en a qu’un seul dont il ait surveillé l’impression ; c’est le Sermon sur l’unité de l’église, parce qu’il a toute la valeur d’un manifeste politique et d’une déclaration de l’église de France. Mais Fléchier publia les siens, et, non content de les publier, il y mit une longue Préface. Est-il rien, je le demande, qui sente plus l’homme de lettres, si ce n’est ce qu’il dit dans cette Préface même de quelques traits de satire qu’il a glissés dans ses Panégyriques « pour en ôter le dégoût d’une louange continue, et pour donner quelque sel à des discours qui sont ordinairement insipides ? » Insipides ! ô Bossuet, le panégyrique de saint Augustin, ou celui de saint Bernard, ou celui de sainte Thérèse ! et la bizarre idée que d’y vouloir « donner du sel ! » ou plutôt, et encore une fois, comme elle est bien d’un homme de lettres, préoccupé d’abord de plaire, d’instruire en amusant, et au besoin d’amuser sans instruire !

C’est un point délicat, et qu’il faut cependant toucher. En réalité, pas plus que le savant Huet, évêque d’Avranches, que je nomme de préférence parce qu’il fut de ses amis, Fléchier n’était né pour l’église. Il y entra par occasion plutôt que par vocation ou par choix, et comme il était d’ailleurs d’esprit sain et de conscience droite, personne plus honorablement que lui ne remplit les fonctions qu’il y exerça. Mais comparez encore ses débuts à ceux de Bossuet, de Bourdaloue, de Fénelon, de Massillon ; j’entends ses débuts dans la vie, et non pas dans la chaire. Vous n’y trouvez pas trace de ce je ne sais quoi d’impérieux qui, dès l’âge de seize ans, contre le gré de son père, faisait entrer Bourdaloue dans la compagnie de Jésus, ni rien non plus qui rappelle cette ardeur dont Fénelon se sentait enflammé quand il écrivait cette lettre célèbre sur les missions du Levant ; « Je vois déjà le schisme qui tombe, l’Orient et l’Occident qui se réunissent, et l’Asie qui voit renaître le jour après une si longue nuit… » M. l’abbé Fabre regrette qu’il y ait tant d’allusions aux auteurs profanes, mais si peu de citations de l’écriture et des pères dans les premiers morceaux de l’éloquence de Fléchier ; que celles que l’on y rencontre soient toujours si faiblement traduites, plus faiblement commentées ; qu’il s’y en trouve même d’inexactes ou d’erronées, d’interprétées à contresens ou de faites à faux. N’en serait-ce pas la vraie raison ? On ne devait guère employer le temps à méditer l’Écriture, dans le précieux salon de Mlle de Scudéri, non plus que dans la fastueuse maison des Caumartin ; et le ton, certes fort agréable, mais plutôt léger, des Mémoires sur les grands jours d’Auvergne, nous assure aussi bien que le goût naturel de Fléchier ne l’y portait guère. La vocation n’y était pas. Et quelle explication plus simple encore de