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de Kalloo avec ses bateaux. Le pont résistait à tout ; mais, au milieu du courant, on ne put le faire sur pilotis et il fallut se contenter d’un plancher sur des bateaux. Le prince était nuit et jour avec ses Espagnols, qui souffraient du froid, de la faim souvent, car on ne lui envoyait pas d’argent et l’on manquait de pain. Le 22 février 1585, le pont était fini, la Scheldt était bridée ; deux énormes constructions en bois, appuyées sur des jetées, se rattachaient par un pont de bateaux permanent ; ces constructions portaient deux forts qu’on appela Saint-Philippe et Sainte-Marie ; devant chacun de ces forts étaient 20 vaisseaux, 120 canons défendaient tout ce grand ouvrage, encore protégé des deux côtés par de grands radeaux. Quand les Anversois virent se fermer sur eux à travers leur beau fleuve la ceinture de bois et de fer, ils se sentirent perdus ; ainsi plus tard La Rochelle fut réduite par la digne de Richelieu. Des efforts suprêmes furent tentés. Les Anversois essayèrent d’abord de reprendre le fort de Lïeikenshoek ; ils tenaient toujours celui de Lillo, sur la rive du Brabant. Justin de Nassau avec une flotte, Hohenlohe avec les troupes du fort de Lillo, menèrent l’attaque ; on chassa les Wallons et les Espagnols du petit fort, mais la digue qui menait de ce point à Kalloo, où était le quartier-général du prince de Parme, avait été coupée, et les vainqueurs ne purent rien entreprendre de plus de ce côté. Un Mantouan, nommé Gianibelli, établi à Anvers, avait présenté au sénat de la ville un projet pour la destruction du pont palissade des Espagnols ; on lui permit de faire un essai de machine infernale avec deux petits vaisseaux ; il les remplit de poudre et livra d’abord au courant du fleuve trente-deux bateaux plus petits, pleins de matières combustibles, les deux gros vaisseaux pleins de poudre devaient suivre quand le feu aurait déjà été mis au pont. La petite flottille de bateaux embrasés descendit lentement le fleuve par une soirée noire et calme. Farnèse était sur le pont, attendant une attaque, toutes ses troupes étaient sous les armes : l’un des deux vaisseaux brisant tous les obstacles sur son passage était arrivé jusqu’au pont : le marquis de Richebourg se trouvait sur ce point : ii envoya des soldats à bord du mystérieux navire. Alexandre Farnèse approchait : à peine arrivait-il près de la porte du fort de Sainte-Marie qu’une terrible explosion se fit entendre. Le vaisseau disparut dans la fumée ; 1,000 soldats furent tués eu un instant. Richebourg était du nombre. Une brèche de 80 mètres de large était faite dans le pont. Le travail de sept mois semblait perdu : Farnèse était tombé, paralysé par l’explosion. Un moment on le crut mort : à peine revenu à lui, il s’élança l’épée à la main, examina la brèche et regarda avec anxiété du côté de la mer, pensant voir arriver une flotte de secours ; ses meilleurs officiers étaient morts,