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Guillaume le Taciturne avait fort bien compris que Gand était le point qu’il fallait défendre à outrance, l’attache et, pour ainsi dire, le cordon ombilical entre les provinces catholiques et celtiques et les provinces calvinistes et flamandes. Philippe II lui-même avait senti qu’il fallait bien traiter cette ville et que le traitement qui lui serait fait déciderait la conduite des autres villes. Il ne réserva que la question religieuse, ne voulant à aucun prix accorder la liberté de conscience ; on donna deux ans à ceux qui ne voulaient point aller à la messe pour mettre leurs affaires en ordre avant de partir pour l’exil : mais on laissa à la ville tous ses privilèges municipaux. Cette politique porta bientôt ses fruits : Bruxelles et Malines eurent le sort de Gand.

Restait Anvers, le centre commercial des Pays-Bas, avec son fleuve magnifique, son port immense ouvert sur la Mer du Nord et uni aux îles de Zélande par d’innombrables canaux. Farnèse avait considéré tout de suite cette ville comme l’objectif le plus important de la guerre ; si on pouvait la remettre sous l’autorité du roi d’Espagne, toute union politique entre les provinces des rives opposées ne pouvait être de longue durée. Si elle demeurait la tête de pont de la Hollande, l’autorité espagnole dans le Brabant et dans les Flandres ne pouvait plus être rétablie que d’une manière éphémère. Aussi le siège d’Anvers reste-t-il, même en ces temps où les sièges étaient continuels, un épisode du plus haut intérêt.


II

Anvers était si bien considéré comme la clé des possessions espagnoles, que les soldats avaient coutume de dire : « Si nous prenons Anvers, vous irez à la messe avec nous, si vous gardez Anvers, nous irons au prêche avec vous. » Le duc de Parme commença son entreprise avec de faibles moyens. Son armée active n’était guère que de 8,000 à 10,000 hommes ; il n’avait pas d’argent. Philippe II ne répondait pas à ses demandes incessantes. Orange avait toujours dit que, si Farnèse entreprenait le siège d’Anvers, il y trouverait sa perte. Comment prendre une ville située si près de la mer, entourée de ses bras, libre de communiquer avec la Hollande et la Zélande ? Le prince d’Orange avait conseillé de couper les digues de la Scheldt pour faire l’inondation, isoler complètement la ville et empêcher toutes les approches. Les digues principales étaient le Blaw-Garen et le Kowenstyn ; en les perçant, en entourait la ville d’une véritable mer et rien ne pouvait plus empêcher l’arrivée des flottes de la Zélande et le ravitaillement de la ville. Le bourgmestre de la ville était