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Dans le même mois de juillet 1583 où mourut le duc d’Alençon, Alexandre Farnèse fut débarrassé d’un ennemi bien autrement redoutable. Le 10 juillet, le prince d’Orange fut assassiné par Balthazar Gérard. Philippe II avait envoyé, dès le 30 novembre 1579, à Farnèse l’ordre de publier un ban contre Orange et de mettre sa tête à prix ; le prince avait résisté. On estime, écrivait-il, qu’il « pourra sembler une bassesse et indécence à un prince si grand que, ayant contre lui commencé la guerre et employé telles forces, maintenant il en viendrait à un autre remède… » Philippe II avait d’autres sentimens, l’assassinat d’un rebelle lui semblait chose légitime ; il renouvela ses ordres ; Farnèse garda six mois le texte du ban ; il obéit enfin, mais en protestant : « Jamais je n’ai approuvé ce ban ou placard » (lettre du 4 avril 1581) ; en l’envoyant aux gouverneurs, il ajouta : « Comme le roy, par deux réitérées lettres siennes, nous a mandé expressément de faire incontinent publier la prescription et le ban ci-joint, nous ne pouvons laisser, pour obéir au commandement de Sa Majesté, de vous l’envoyer. » Le ban promettait à l’assassin du prince d’Orange 25,000 écus et l’anoblissement.

Le 16 mars 1582, Jean Sauréguy essaie de tuer le prince d’Orange ; il le blesse seulement, mais le bruit de sa mort se répand partout. Farnèse s’était-il habitué à l’idée de l’assassinat ? Voulait-il natter la passion de Philippe ? Il lui écrit : « Je ne saurais exprimer à Votre Majesté le contentement d’avoir vu infliger à ce personnage (le prince d’Orange) le châtiment qu’il méritait ; on ne saurait assez louer, assez vanter la décision et l’incroyable audace du jeune homme qui a accompli une action si héroïque, avec des intentions si salutaires, sous l’inspiration de Jésus-Christ. » Quand, plus tard, Balthazar Gérard réussit dans sa criminelle entreprise, Farnèse écrivit que celui-ci « laissait de lui et de son acte si héroïque la mémoire pour exemple au monde. » (Correspondance de Guillaume, t. IV.) Ainsi, dans ces temps troublés, les âmes les plus nobles devenaient indulgentes au crime ; l’épaisse nuit morale où vivait Philippe II jetait une ombre sur tous ses serviteurs.

Après la mort de Guillaume le Taciturne, Alexandre Farnèse se hâta de faire des ouvertures aux états et aux villes. Ses avances furent repoussées en Hollande et en Zélande, mais rencontrèrent des dispositions moins intraitables dans les Flandres et en Brabant. Les ducats d’Espagne n’y nuisaient point. Des Pruneaux l’envoyé écrivait à Catherine de Médicis que l’or espagnol avait vaincu beaucoup de courages. Farnèse menaçait à la fois Gand, Dendermonde, Malines, Bruxelles et Anvers. Le 17 août 1584, il prit Dendermonde, Gand fit sa soumission le 17 septembre, et la reddition de cette ville lui donna toute la Flandre occidentale, à l’exception de la côte.